Difficile équation à résoudre pour la forêt française

Au cœur des stratégies de décarbonation, la filière forêt et bois française fait face à de nombreuses contradictions : malgré une surface conséquente, elle peine à répondre à la demande de l’industrie dont l’appétit va croissant.

Depuis 150 ans, la surface forestière française a doublé pour atteindre près de 17 millions d’hectares (31% du territoire métropolitain), ce qui en fait la quatrième superficie forestière de l’Union européenne après la Suède, la Finlande et l’Espagne. Le rôle de la forêt dans l’atteinte de la neutralité carbone est l’objectif numéro 1 pour les Assises de la forêt et du bois qui se sont ouvertes le 19 octobre sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie. Conçues comme un espace de dialogue, ces Assises visent à nourrir la vision la plus large possible de la forêt française et de la filière bois pour demain. Des groupes de travail thématiques se réuniront jusqu’en janvier 2022 avec l’ensemble des parties prenantes.

« On attend beaucoup de nos forêts qu’elles participent à la lutte contre le changement climatique, mais elles en sont elles-mêmes affectées », indique Tancrède Neveu, directeur délégué du Fonds de dotation Plantons pour l’avenir. Il participait le 22 novembre à conférence organisée par le Crédit Agricole d’Aquitaine à Bordeaux en présence de nombreux acteurs de la filière forêt et bois.

La filière permet de compenser annuellement quelques 20% des émissions de CO2 émises en France, mais ce « puits de carbone » est fragile : avec l’accroissement des risques d’incendies, des tempêtes de plus en plus fréquentes et l’apparition de nouveaux bioagresseurs, les forêts sont soumises à des facteurs de risque qui peuvent anéantir leurs capacités de stockage du carbone.

Le défi de la replantation

« La filière bois a un rôle majeur si l’on veut développer une économie décarbonée. Mais cela veut dire qu’il faut gérer la forêt, donc couper des arbres, en replanter, et que l’on arrête de considérer la forêt comme un sanctuaire qu’il ne faudrait pas toucher. Car quand il y a un incendie, tout le bois stocké se retrouve dans l’atmosphère », a expliqué lors de cette conférence Alain Bailly, directeur du pôle Ressources forestières des territoires de l’institut technologique FCBA.

L’utilisation de bois comme matériau recèle un important potentiel de stockage, mais l’industrie française peine à répondre à la demande, notamment pour les bois dits « techniques » - lamellé-collé, lamellé croisé (CLT). « La forêt française est constituée d’environ un quart de résineux et trois quarts de feuillus, alors que la demande est inverse, davantage tournée vers les résineux », précise Stéphane Vieban, directeur général de la coopérative Alliance Forêts Bois. Résultat : la France importe depuis la Finlande, l’Autriche ou encore l’Allemagne.

« La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une demande très forte de l’industrie, et il faut profiter de cette demande pour adapter la forêt », poursuit Stéphane Vieban. La future règlementation RE 2020, qui vise à diminuer l’impact carbone des bâtiments, devrait notamment renforcer la présence du bois dans les constructions et dans l’énergie.

Une forêt en grande partie privée

« Actuellement, la part du bois dans les constructions collectives en France se situe entre 3 et 5% », fait savoir Marc Oppenheim, directeur général de Crédit Agricole Immobilier. « Le bois plaît et il y a un véritable appétit de la part des élus et des municipalités, mais l’équation à résoudre est compliquée : il faut que le coût soit acceptable, qu’il y ait les capacités techniques de maîtrises d’œuvre et que les fournisseurs puissent sortir le produit demandé ». La France manque ainsi de bois d’ouvrage technique recherchés dans les constructions, mais aussi de bras qui sachent construire. « Il manque des personnes formées à travailler le bois, que ce soient des architectes ou des ouvriers », note Marc Oppenheim.

Fait notable par rapport à nos voisins européens : en France, 75% de la forêt appartient à des propriétaires privés, un taux qui varie selon les régions. « En Nouvelle-Aquitaine, 90% de la forêt est privée », fait par exemple savoir Tancrède Neveu. Ce sont ainsi 3,5 millions de propriétaires forestiers qui se partagent environ 12 millions d’hectares de forêts françaises. Face au coût élevé que représente le reboisement, le Fonds de dotation Plantons pour l’avenir accompagne les propriétaires privés au reboisement de leurs forêts via un système de mécénat. Le Crédit Agricole en est le principal mécène.

Rendez-vous fin janvier 2022, à la clôture des Assises de la forêt et du bois, pour découvrir la feuille de route déterminée par l’ensemble de la filière. Une synthèse des travaux et une série de propositions opérationnelles doivent être publiées à cette occasion.