Entre déconsommation et distanciation, la France viticole groggy

[Edito] Marqué par des dispositifs de distillation et d’arrachage, des exportations qui passent à l’orange, l’érosion continue de la consommation domestique et une distanciation croissante des Français dans leur rapport au vin, le millésime 2023 va faire date. Mais sans doute pas exception.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en ces temps de chamboule-tout climatique, il n’y a guère que le climat qui aura épargné la vigne cette année. Si des épisodes de gel, de grêle, de sécheresse et de canicule ont, comme à l’accoutumée, occasionné des pertes de rendement ici ou là, avec la contribution du mildiou dans le Sud-Ouest, la production nationale devrait tutoyer les 47 millions d'hectolitres, soit un niveau supérieur de 2% à celui de 2022 et de 6% à la moyenne 2018-2022. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle quand, aux premiers coups de sécateurs et de secoueurs, le ministère de l’Agriculture annonçait porter à 200 millions d’euros la campagne de distillation, contre 80 millions d’euros prévus initialement. Au total, 4,4 millions d’hectolitres auront été distillés, soit l’équivalent de 10% de la production. Un peu plus que la part des anges.

Une érosion volumétrique

En cause : la surproduction affectant certaines catégories de vin, notamment les rouges d’entrée de gamme. Mais pas seulement. A l’opposé du spectre, les ventes de champagne en grande distribution ont, selon les panélistes Circana et NielsenIQ, chuté de 20% cette année. La faute à l’inflation. Mais pas seulement. Rouges, blancs, rosés, tranquilles ou effervescents : à des degrés certes variables, la déconsommation n’épargne aucune catégorie de vin, ce que confirme la dernière enquête quinquennale de FranceAgriMer et du CNIV, qui pointe comme moteur principal le renouvellement des générations et le changement structurel des occasions et comportements de consommation. « Dans une tendance globale de baisse de la consommation d’alcool, la population des18-34 ans a un taux de consommation de vin plus faible que l’ensemble de la population et plus nettement en baisse », pointe l’étude.

Une distanciation culturelle

En prenant de l’âge, les jeunes générations délaisseront-elles la bière et autres alcools au profit du vin ? Rien n’est moins sûr. Au-delà des volumes, l’étude fait état d’une distanciation croissante des Français dans leur rapport au vin, davantage marquée chez les 18-34 ans mais également à l'oeuvre chez les 35-49 ans. Les jeunes consommateurs pourraient ainsi relayer au rang de poncifs éculés les allégations de « partage », « convivialité », « vivre ensemble », « identité culturelle de la France » et autre « art de vivre à la Française », consubstantielles à « la patrie du vin ». Au passage, le « French paradox » en prend un coup dans l’aile : l’allégation « le vin c’est bon pour la santé » remporte beaucoup moins d’adhésion en 2022 qu’en 2015.

L’appel au « new deal » de la filière

Les phénomènes de déconsommation et de distanciation ne sont pas la surprise de l'année pour la filière, qui invoque la déritualisation des repas, la perte de transmission au sein des familles ou encore la stigmatisation, « minoritaire mais active ». « Si les pouvoirs publics et la filière vin ont collectivement gagné la bataille de la modération, la France, pays du vin, est en train de perdre la bataille de sa transmission », analyse l’association Vin & Société. Or la consommation domestique représente à elle seule 60% des débouchés. Quant à l’export, il a manifesté au 1er semestre 2023 ses premiers signes d’essoufflement, selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux. A l’heure où Bordeaux s’apprête à arracher 8000 hectares de vignes, soit 7% de son vignoble, la filière appelle de ses vœux un « new deal du vin ». Objectif : faire mentir les projections qui font état d’une contraction de 20% du marché du vin dans les 10 ans à venir, avec des conséquences sociales « redoutables ». A la veille du « dry january » (janvier sobre), entre un « French paradox » évanescent et un « new deal » encore énigmatique, la France viticole est bel et bien groggy.