« J’ai remplacé les vaches allaitantes par des vers de farine »

A Saint-Clément-de-Régnat (Puy-de-Dôme), Rémy Petoton a troqué les vaches allaitantes pour des larves grouillantes de vers de farine qu’il engraisse pour le compte d’Invers. La startup auvergnate développe en effet un modèle de production de protéines alternatives et durables chez des éleveurs, en partenariat avec des coopératives.

Attention : changement(s) de modèle(s). Pas de ferme verticale produisant des dizaines de milliers de tonnes d’insectes sous l’égide d’un groupe industriel (tel Innovafeed ou Ynsect en France) mais un système intégré comme il en existe en productions avicole et porcine, reposant donc sur des éleveurs. A ceci près que ce sont des vers de farine (Tenebrio molitor, un coléoptère) qui sont engraissés dans des bâtiments d’un peu moins de 1000 m2. Le troisième et dernier facteur disruptif réside dans la destination des protéines extraites des vers : elles se substituent aux céréales et oléo-protéagineux entrant dans la composition des aliments pour chiens, chats, oiseaux ou encore poissons, le ténébrion meunier renfermant plus de 65% de protéines, ainsi que des acides aminés et des acides gras (Oméga 3 et 6). 

Les vers de farines sont destinés à l’alimentation animale mais pourraient aussi s’inviter dans notre assiette, sur le marché des ingrédients ciblant les sportifs et les personnes souffrant de dénutrition (Crédit photo : Invers)
Les vers de farines sont destinés à l’alimentation animale mais pourraient aussi s’inviter dans notre assiette, sur le marché des ingrédients ciblant les sportifs et les personnes souffrant de dénutrition (Crédit photo : Invers)

Intérêt(s) ? « Les vers de farine sont exclusivement nourris avec le son de céréales, une matière première plutôt pauvre avec laquelle on produit une protéine d’une excellente qualité, dans un bâtiment zéro énergie, zéro émission, zéro odeur et peu consommateur d’eau, avec en prime le retour au sol du guano généré par la croissance des vers, explique Sébastien Crepieux, président-fondateur d’Invers. En outre, cette organisation permet de limiter les risques sanitaires à plusieurs niveaux, notamment grâce à des élevages de taille moyenne répartis sur le territoire, chacun suivi par un éleveur ».

Économie circulaire et locale

Créée en 2016 et basée à Saint-Ignat (Puy-de-Dôme), la start-up intervient aux deux extrémités de la chaine. En amont, elle assure la production et l’éclosion des œufs, fournissant les micro-larves de ténébrion meunier aux éleveurs, ainsi que l’aliment, en l’occurrence les sons issus de céréales en provenance des coopératives partenaires. Charge aux éleveurs de transformer, en quatre semaines, les micro-larves en vers de farine. En aval, Invers collecte puis transforme les vers de farine en aliments pour animaux, qui se retrouvent dans les rayons des libre-service agricoles des mêmes coopératives (entre autres). La boucle est bouclée.

"Le modèle de co-construction établi entre Invers et le monde agricole place l’agriculteur au centre de la chaine de valeur. C’est un facteur fondamental."

Présent au capital d’Invers depuis 2019, Limagrain est l’une d’elles. « La raison d’être du groupe Limagrain est de créer sinon d’accompagner des filières pour soutenir le revenu de ses adhérents, explique Vincent Tardif, directeur stratégie développement Nouvelles filières. La filière vers de farine, telle que la conçoit Invers, nous a paru extrêmement intéressante dès le départ car elle répond à des enjeux majeurs que sont l’attractivité du métier et le renouvellement des générations, le faible impact foncier, la garantie de revenu pour les éleveurs et enfin le contournement du changement climatique, la production s’opérant indoor. Le modèle de co-construction établi entre Invers et le monde agricole place l’agriculteur au centre de la chaine de valeur. C’est un facteur fondamental ».

Le bâtiment de 950m2, zéro énergie, zéro émission, zéro odeur et pilotage automatisé abrite 9000 caissons de production de vers de farine, moyennant quatre semaines d’engraissement (Crédit photo : Invers)
Le bâtiment de 950m2, zéro énergie, zéro émission, zéro odeur et pilotage automatisé abrite 9000 caissons de production de vers de farine, moyennant quatre semaines d’engraissement (Crédit photo : Invers)

Profession : éleveur d’insectes

Rémy Petoton est l’un des tout premiers éleveurs à avoir franchi le pas. Installé à Saint-Clément de Régnat (Puy-de-Dôme), il exploite 190 ha de grandes cultures dont une partie en semences (maïs et tournesol), aux côtés d’un troupeau de vaches allaitantes. Au Sommet de l’élevage, temple de la vache à viande s’il en est, il est venu expliquer sa conversion au ver de farine sur le stand d’Invers. « Mon père est proche de la retraite et la vache allaitante, c’est pas mal d’astreinte, sachant qu’entre autres activités, je suis maire de ma commune, explique le jeune agriculteur. Et en plus, je suis incapable de faire confiance à un salarié pour s’occuper des vaches ».

"Le modèle de co-construction proposé par Invers est tel que personne n’est la variable d’ajustement de l’autre."

Le jeune agriculteur a mis en service son bâtiment en tout début d’année. L’automatisation des process et le contrôle à distance, via une appli mobile, l’autorisent à déléguer la conduite à un salarié, à raison d’un « mi-temps agricole ». « Pas de risque d’avoir à gérer un veau malade à dix heures du soir après une réunion », confie-t-il.

L’éleveur a consenti un investissement de 800.000 euros dont 120.000 euros de subvention de la Région Auvergne Rhône-Alpes, le tout lui réservant d’ores-et-déjà une marge bénéficiaire, que l’amortissement futur ne fera qu’amplifier. « Le modèle de co-construction proposé par Invers est tel que personne n’est la variable d’ajustement de l’autre, explique Rémy Petoton. La production de vers de farine me permet de diversifier mes revenus et de les sécuriser, vis-à-vis des aléas économiques et climatiques. Au plan agronomique, je perds le fumier de bovin mais je récupère le guano de ver, à raison de 250 à 300 t/an, avec un titrage 4-3-3, et 85% de matière organique ». Sans odeur troublant le voisinage, faut-il le préciser, histoire de ne pas hypothéquer l’acceptabilité sociale.

Au Sommet de l’élevage, Invers et les coopératives Eurea, Limagrain et Oxyane ont acté la création d’Invers Aura, visant la construction de 25 bâtiments à moyen terme sur la région Auvergne Rhône-Alpes (Crédit photo : R. Lecocq)
Au Sommet de l’élevage, Invers et les coopératives Eurea, Limagrain et Oxyane ont acté la création d’Invers Aura, visant la construction de 25 bâtiments à moyen terme sur la région Auvergne Rhône-Alpes (Crédit photo : R. Lecocq)

Trois coopératives de la région Auvergne Rhône-Alpes

Invers compte actuellement trois élevages partenaires mais escompte bien monter en puissance, à la faveur d’une levée de fonds de 15 millions d’euros opérée en septembre dernier. Au Sommet de l’élevage, la start-up a finalisé la création de sa première filiale régionale, Invers Aura, comprenant trois actionnaires coopératifs, à savoir Eurea et Oxyane, aux côtés de Limagrain, toutes animées par la même quête de diversification et de sécurisation des revenus. « Avec 40 bâtiments de poules pondeuses, nous avons atteint un plafond, déclare Francis Gaud, directeur général du pôle alimentation d’Oxyane. Nous avons aimé l’idée que le son, un co-produit du blé, soit un aliment essentiel du ver de farine et ne concurrençant pas d’autres aliments. Nous avons quelques bâtiments à monter et nous serons au rendez-vous ».

"La protéine des années 2000, le soja brésilien, est derrière nous."

Même « son » de cloche chez Eurea. « Nous commercialisons depuis plusieurs mois les produits Invers dans nos magasins Gamm vert avec une belle réussite, déclare Bertrand Relave, directeur général du groupe. Mais au-delà du pet food, je suis persuadé qu’au vu des qualité de cette protéine, la farine à base d’insecte va intégrer des produits dans l’alimentation des sportifs par exemple. Je pense que la protéine des années 2000, le soja brésilien, est derrière nous et qu’il faut construire des filières d’avenir avec nos agriculteurs sur nos territoires, avec une jolie petite pépite qu’est Invers ». La start-up vise la construction de 25 bâtiments à moyen terme sur la région Auvergne Rhône-Alpes.