« Des micro-pousses et bébé-feuilles en container à la place des betteraves sucrières »

A Clerlande (Puy-de-Dôme), Eric Alexandre a rejoint la nouvelle filière de production de jeunes pousses de sa coopérative Limagrain, avec à la clé l’installation d’une autre jeune pousse, son fils Thomas, le tout avec une économie de moyens productifs et le minimum de risques sanitaires, climatiques et économiques.

Qu’est-ce qui occupe 15 mètres carrés au sol en dégageant un revenu net de 1000 euros par mois pendant 5 ans, puis 2000 euros par mois les 25 ans suivant l’investissement et l’amortissement, en s’affranchissant des risques climatiques, avec zéro phyto et très peu d’eau, en s’appuyant sur une coopérative assurant le débouché ? Réponse : un container dédié à la production de jeunes pousses et de bébés-feuilles valorisés auprès des cafés, hôtels restaurants et chefs cuisiniers par VIF Systemes, un équipementier qui conçoit et livre clé en main des solutions hydroponiques de production verticale de végétaux en milieu contrôlé, et dont le groupe Limagrain est depuis peu actionnaire à hauteur de 25%.

Eric Alexandre : « La coopérative a proposé le projet à mon fils Thomas comme support à son installation à mes côtés »
Eric Alexandre : « La coopérative a proposé le projet à mon fils Thomas comme support à son installation à mes côtés »

Le container en question, il est opérationnel depuis près d’un an sur l’exploitation d’Eric Alexandre à Clerlande (Puy-de-Dôme), qui fait partie des quatre premiers adhérents engagés dans cette nouvelle filière. L’agriculteur produit du blé, du maïs ou encore du tournesol sur 50 hectares. Il exerce également une activité d’ETA. Jusqu’en 2019, il produisait aussi de la betterave sucrière jusqu’à ce que Cristal Union ferme la sucrerie de Bourdon (Puy-de-Dôme). « Tous les planteurs ont subi un véritable choc », souligne Eric Alexandre, encore amer.

"J’ai mis deux ans à me débarrasser de mon matériel betteravier en y laissant beaucoup d’argent"

Détenteur d’un brevet (chauffage des rouleaux pour décoller la terre), l’entrepreneur a subi la double peine. Les deux exercices précédents, l’ETA avait investi dans deux arracheuses automotrices pour un montant supérieur à 1 million d’euros, avec la garantie que la sucrerie ne fermerait pas. « J’ai mis deux ans à me débarrasser de mon matériel betteravier en y laissant beaucoup d’argent. Il a fallu rebondir ».

Les chantiers de betteraves, semis et épandage compris, représentaient 70% du chiffre d’affaires. Il a alors développé le TP et investi dans le fauchage-andainage de cultures délicates comme le sarrasin, la cameline, les lentilles, les haricots secs, les semences de trèfle, luzerne et autre carotte, non sans lien avec Limagrain, car il se trouve que la coopérative, 4ème semencier mondial, n°1 en potagères, contribue à l’émergence d’une filière de légumineuses à graines destinées à l’alimentation humaine.

Vincent Tardif (à gauche) et Frédéric Jamet, co-directeurs de VIF Systems, ont dévoilé au Sommet de l’élevage les tenants et aboutissants de la nouvelle filière micro-pousses et bébé-feuilles
Vincent Tardif (à gauche) et Frédéric Jamet, co-directeurs de VIF Systems, ont dévoilé au Sommet de l’élevage les tenants et aboutissants de la nouvelle filière micro-pousses et bébé-feuilles

La coopérative pensera alors à Eric Alexandre pour le projet de micro-pousses et bébé-feuilles. « En fait, la coopérative a proposé le projet à mon fils Thomas, salarié de l’ETA, comme support à son installation à mes côtés. En plaine de Limagne, la pression foncière est forte et laisse peu de possibilités à l’installation ». Le fils et le père adhèrent. Le container fera office de diversification, avec une emprise foncière ridicule pour le coup.

Basilic, persil, tagète, amarante rouge, mertensia, coriandre, roquette sont quelques-unes des 50 espèces cultivées dans des mini-barquettes. Le container d’Eric Alexandre est pour moitié voué à la production, pour moitié dédié à l’expérimentation et à la mise au point des protocoles culturaux pour les containers installés chez d’autres adhérents. Le cycle de production varie entre 6 et 30 jours selon les espèces. Charlotte, blouse et gants obligatoires pour raisons sanitaires. Aucune déperdition d’eau. Aucun rejet dans le milieu. Pas bio pour autant pour cause de production hors-sol mais... « On ne réalise aucun traitement », souligne Frédéric Jamet, co-directeur général de VIF Systemes, qui dit réfléchir à l’adoption d’un label de type Zéro résidu de pesticide. Le groupe de froid et les Led pourraient à l’avenir être alimentés par des panneaux photovoltaïques.

"Des chefs trois étoiles ont validé les qualités organoleptiques de nos produits"

Les micro-pousses et bébé-feuilles sont commercialisés dans les cafés, hôtels restaurants et auprès des chefs cuisiniers. « Pour juger des qualités organoleptiques et aromatiques, il y a les analyses chimiques, que nous réalisons, et il y a le palais des chefs cuisiniers, explique Vincent Tardif, directeur stratégie développement nouvelles filières de Limagrain, et co-directeur général de VIF Systems. Des chefs trois étoiles ont validé nos produits, dont la fraicheur demeure intacte jusqu’à dix jours après la livraison ».

Les mini-barquettes peuvent se conserver jusqu’à 10 jours après livraison, moyennant des présentoirs adaptés
Les mini-barquettes peuvent se conserver jusqu’à 10 jours après livraison, moyennant des présentoirs adaptés

D’ici à la fin de l’année, VIF Systems totalisera 11 containers chez autant d’adhérents de la coopérative avant le doublement en 2024. « Nous sommes en phase pré-industrielle mais le modèle économique est éprouvé, assure Vincent Tardif. Le déploiement sera progressif et collera bien entendu à notre marché cible, une niche premium à forte valeur ajoutée. A terme, nous visons entre 50 et 100 containers, un seuil qui donnera de la visibilité et une identité territoriale à cette filière ». Le coût du container de 20 pieds (de seconde main et pré-équipé d’un groupe froid) est inférieur à 100.000 euros pour un retour sur investissement de 5 ans. 

VIF Systemes poursuit ses efforts de R&D dans plusieurs directions. Pour parer au risque d’invendu autant que pour étoffer le « recettage » des chefs, l’entreprise travaille à la mise au point d’un conditionnement assurant une DLC de deux ans aux jeunes pousses, « avec des résultats gustatifs prometteurs ». Limagrain explore aussi la piste des ingrédients (alimentaires, pharmaceutiques), une compétence maison, dont est potentiellement porteuse la culture sous Led.

Après la production de vers de farine sous l’entité Invers, dévoilée au Sommet 2022, le groupe coopératif sème avec VIF Systems une nouvelle graine dans sa quête de productions alternatives, dans une logique de filière (process, mise sur le marché), ancrées dans le territoire, techniquement et financièrement bordées, et ici climatiquement dérisquées. « Et sous l’œil avisé d’un agriculteur », insiste Vincent Tardif. « L’agriculteur reste l’acteur principal de la filière », ajoute Frédéric Jamet.

La production de micro-pousses et bébé-feuilles dans des containers dispersés en Limagne, c’est un peu l’antithèse des fermes verticales monumentales déshumanisées. De son côté, Eric Alexandre est passé des méga-arracheuses de betteraves aux micro-pousses manipulées avec des pincettes. « Je suis passé de 80 t/ha de betteraves à 1 t/an de micro-pousses et bébé-feuilles, je fais dans la dentelle », s’amuse-t-il, comblé de participer, au côté de son fils, à « une nouvelle aventure ».