Le blé dur dans le dur, le blé tendre pas tendre

L’érosion de la sole de blé dur se poursuit inéluctablement tandis que la crise ukrainienne fait doublement le jeu de son premier rival, le blé tendre. Premier collecteur national, Arterris entrevoit un signal positif pour la prochaine campagne mais ne mésestime pas la menace pour la filière.

Au cours des cinq dernières années, la sole de blé dur a baissé de 15,5% pour s’établir à 256 000 ha selon Agreste, un plancher qui n’avait pas été atteint depuis les années 1990. En une décennie, la surface a chuté de moitié et au cours de la seule campagne, 2021/2022, elle a baissé de 13%. Les causes sont connues. « La chute est due au fait que l’écart de prix entre le blé dur et le blé tendre n’est pas satisfaisant, déclare Nicolas Prévost, directeur Métiers du grain chez Arterris, premier collecteur national de blé dur. A cela s’ajoute le risque qualitatif, considéré comme important pas les producteurs, ce qui est avéré dans certaines configurations. Jusqu’à la récolte, des aléas climatiques sont susceptibles d’altérer la qualité et au final la rémunération ». Basée dans l’Aude, la coopérative a enregistré une baisse de 13% de sa collecte, à la qualité « hétérogène », sous l’effet des rendements, la surface baissant de « 2 à 3% ». Au niveau national, le rendement s’est maintenu à 53,3 q/ha selon Agreste, contre 53,8 q/ha en 2021.

Un écart-cible de 80€/t à 100 €/t par rapport au blé tendre

Depuis les emblavements de l’automne 2021, la crise ukrainienne est passée par là et elle n’a fait pas les affaires du blé dur, une espèce au débouché propre (la semoulerie) et déconnecté des autres commodités. Le blé tendre a ainsi resserré l’écart. Nicolas Prévost relativise. « Le prix du blé dur avait fortement monté avant la crise ukrainienne, sous l’effet de la très mauvaise récolte canadienne et la faiblesse des disponibilités, rappelle-t-il. L’an passé, l’écart de prix avait atteint des niveaux inédits et la rentabilité du blé dur était bien supérieure à celle du blé tendre ». Qu’en est-il aujourd’hui, à l’heure où le Canada a réalisé une très grosse récolte, 6,7 Mt contre 2,7 Mt en pour cause de sécheresse en 2020/2021 ? « La pression exercée par la récolte canadienne a fait un peu baisser le prix du blé dur, admet Nicolas Prévost. Depuis quelques jours, les premiers acheteurs se positionnent sur la prochaine récolte avec une prime comprise entre 90 et 100 €/t par rapport au blé tendre ». Il se trouve que cet écart de prix correspond au seuil requis pour faire pencher la balance en faveur du blé dur.

"Dans un contexte extrêmement incertain, extrêmement volatile, l’enjeu, c’est d’être capable de fixer, au moins en partie, le prix de vente de sa récolte au moment où l’on fixe le prix d’achat de ses intrants "

La crise ukrainienne n’a pas fait seulement le jeu du blé tendre. Elle a aussi engendré la flambée du prix des engrais et notamment des engrais azotés, dont le blé dur est encore plus dépendant que le blé tendre, afin de satisfaire le cahier des charges des semouliers, contraints pas les process technologiques. « Dans un contexte extrêmement incertain, extrêmement volatile, l’enjeu, c’est d’être capable de fixer, au moins en partie, le prix de vente de sa récolte au moment où l’on fixe le prix d’achat de ses intrants », éclaire Nicolas Prévost.

Le blé dur, une espèce aux exigences fortes en azote (Source FranceAgriMer)
Le blé dur, une espèce aux exigences fortes en azote (Source FranceAgriMer)

Un enjeu de filière

La coopérative Arterris ne fait aucun pronostic quant aux prévisions de semis de blé dur sur sa zone d’activité. « Notre relation avec les agriculteurs est basée sur une analyse économique et la plus objective possible, reposant sur des calculs de coûts de production et des simulations de seuil de commercialisation », affirme Nicolas Prévost.

Blé tendre ou blé dur (ou autres espèces) : les agriculteurs sèmeront et la coopérative collectera. Mais si la sole du blé dur devait poursuivre sur cette pente, c’est toute une filière qui serait fragilisée. « Qu’il s’agisse de l’approvisionnement des outils industriels nationaux ou de la capacité de la France à approvisionner ses partenaires commerciaux, en Europe et dans les pays tiers, il y a une vrai inquiétude », conclut Nicolas Prévost.