Les embryons tués dans l’œuf mais pas la surtransposition

[Edito] Avec la fin programmée du broyage des poussins mâles, la France a encore pondu un règlement d’avance sur l’Union européenne, avec à la clé une fêlure en matière de compétitivité.

Par un décret publié au Journal officiel le 6 février, la France a interdit la mise à mort des poussins mâles destinés à la production d'œufs de consommation. La mesure entrera en vigueur d’ici au 31 décembre 2022. Elle mettra fin, dans les cinq couvoirs concernés, au gazage et au broyage d’environ 50 millions de poussins mâles chaque année, très difficiles à valoriser en coquelets. Les souches duales ne font pas davantage l’affaire. La solution est venue de la high-tech, avec des techniques totalement inédites d’ovosexage, consistant à identifier le sexe des embryons avant éclosion, par imagerie ou endocrinologie.

« L’activité cérébrale de l’embryon semble débuter le 13ème jour »

Avec l’ovosexage, la France met ainsi à exécution une annonce formulée en janvier 2020 dans le cadre d’un plan pour la protection et l'amélioration du bien-être animal. Une bagatelle à 15 millions d’euros pour les couvoirs, financée aux deux tiers par l’Etat, auxquels s’ajoutent des surcoûts de fonctionnement de l’ordre de 50 millions d’euros annuels. Ce qui n’empêche pas l’association animaliste CIWF France de faire la fine bouche. « L’activité cérébrale de l’embryon semble débuter le 13ème jour et des doutes subsistent sur une possible sensibilité des embryons dès leur 7ème jour ». Le décret permet en effet de réaliser le sexage jusqu’au 15ème jour d’incubation.

Ce sont les consommateurs qui paieront le surcoût de l’ovosexage, compris entre 3 et 4 centimes d’euros pour une boite de six, par le biais d’une cotisation versée par la grande distribution aux couvoirs. L’opération sera donc indolore pour les 2100 producteurs d’œufs et les 500 producteurs de poulettes.

La transposition par anticipation

Encore que. Tous les œufs ne finissent pas dans les rayons des supermarchés. Selon le CNPO, en 2019, un œuf sur deux (48%) était vendu en restauration hors domicile et à l’industrie agroalimentaire, en partie sous forme d’ovoproduits, en partie exportés. Ces débouchés sont donc exclus du futur accord interprofessionnel qui, soit dit en passant, télescope des négociations commerciales sous haute tension et va rajouter quelques feuilles au millefeuille.

L’ovosexage va donc altérer la compétitivité d’une filière qui marche sur des œufs en termes d’équilibre économique et de balance commerciale. Le ministère de l’Agriculture se dit « très attentif » sur le sujet et s’est engagé à accompagner financièrement la filière avec le Plan France 2030, « en attendant que l’interdiction soit effective au plan européen ».

La France fait en effet bande à part sur l’ovosexage, avec l’Allemagne qui l’a instauré le 1er janvier dernier. C’était du reste le calendrier initial de la France. Au moment où Julien Denormandie bataille sur les distorsions de concurrence dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, la France, connue pour ses accès de surtransposition, invente la transposition des normes par anticipation. En matière de poule et d’œuf, on n’est pas à un paradoxe près.