Les priorités de Denormandie avant la présidentielle (2/2) : l’Europe

La France exerce pour six mois la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le ministre de l’Agriculture entend profiter de cette fenêtre, traversée par la présidentielle, pour s’attaquer aux distorsions de concurrence, avec les pays tiers, mais aussi au sein de l’Union européenne.

« Nous avons un engagement majeur pour 2022, c’est la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Elle intervient 60 ans après le début de la Pac. Je peux vous dire à quel point cette Pac est un levier d’action très important et à quel point je porterai les valeurs et l’esprit de ce traité de Rome de manière très forte à Bruxelles car je crois profondément à cette politique économique, environnementale et sociale, comme un ciment de cette construction européenne ». A l’occasion de sa conférence de presse du 4 janvier, Julien Denormandie a redit son attachement à l’Europe, une béatitude qui n’exonère pas l’Union de certains travers que le ministre de l’Agriculture entend corriger sinon infléchir, avec un fil conducteur : la lutte contre les distorsions de concurrence, extra et intra-européennes.

Pac et PSN : « S’assurer de la convergence entre Etats membres »

Adoptée par le parlement européen le 23 octobre 2020, la réforme de la Pac, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, inaugure un nouveau cadre mettant fin aux centaines de règlements européens au profit de 27 Plans stratégiques nationaux (PSN). Les PSN sont censés simplifier et reconnecter la Pac aux territoires et ainsi faire taire les critiques d’une Pac « hors-sol ».

Au procès en renationalisation, le ministre rétorque « harmonisation ». « En tant que président du Conseil des ministres de l’Agriculture de l’Union européenne, j’ai décidé et informé la Commission européenne que que je souhaitais qu’elle nous fasse une présentation en détail des différents PSN pour nous assurer que cette convergence et cette lutte contre les distorsions de concurrence soient bien mises en œuvre dans les PSN ».

Selon le ministre, cette présentation pourrait avoir lieu fin mars, sous réserve que les 27 États membres aient effectivement transmis leur PSN. Une quinzaine de pays n’avait pas satisfait à cette obligation fixée au 31 décembre dernier. La France a transmis son PSN à la Commission le 23 décembre.

Conditionnalité sociale : « Mettre fin au dumping social entre Etats membres »

S’agissant des PSN, le ministre de l’Agriculture entend exercer son droit de regard notamment sur les écorégimes, lesquels symbolisent l’ambition environnementale et climatique de la Pac et concentrent à eux seuls 25% du budget du 1er pilier.

La prochaine Pac va par ailleurs instaurer une conditionnalité sociale, concernant les travailleurs salariés, et que les États membres devront appliquer au plus tard le 1er janvier 2025. La France l’appliquera dès le 1er janvier 2023. « On sait qu'il y a du dumping social très fort entre pays européens. La France a poussé très fort et on était assez isolé à un certain moment. Mais nous avons eu gain de cause pour que le respect du socle européen des droits du travail soit une condition au versement des aides de la Pac ».

Distorsions intra-UE sur les phytos : « En finir avec la concurrence déloyale »

Le ministre de l’Agriculture entend s’attaquer aux distorsions de concurrence générées par les autorisations à géométrie variable des produits phyto au sein de l’UE. L’un de ses derniers avatars concerne le basamid, un désinfectant du sol dont l’autorisation sur fraise va être supprimée en France, mais maintenue en Belgique notamment. « Il faire en sorte que l’ensemble des normes phytos soient bien appliquées à tous les États membres pour ne pas créer des situations de concurrence déloyale au sein du marché commun », a dit le ministre.

La révision de la directive européenne Sud (Sustainable use of pesticides, ou utilisation durable des pesticides), programmée pour le second trimestre, en sera le support. « Il y a trois ans, c’était impossible de parler de réciprocité au niveau du Conseil européen. Aujourd’hui, on a ce momentum politique que l’on doit consolider, sur la base de deux principes : pas d’interdiction sans solution et porter tous les sujets au niveau européen pour ne pas créer de concurrence déloyale ».

Distorsions extra-UE sur les phytos : « Intégrer les LMR dans la Directive Sud »

Le ministre veut profiter de la révision de la directive Sud pour porter un coup aux distorsions de concurrence avec les pays tiers, en y incluant les Limites maximales de résidus (LMR), une manière de lutter contre l’importation de produits ne correspondant pas à nos normes de production. « Il faut que l’Europe impose ses normes et ne se fasse pas imposer les normes des autres. Pour cela, il faut conditionner l’accès préférentiel à notre marché au plein respect des normes de production européennes :  c’est la question des conditionnalités tarifaires. Il faut aussi que les LMR concernant les produits non autorisés dans notre espace commun soient le plus ambitieuses possible ».

Clause miroir sur les activateurs de croissance : « Une croisade »

La question des LMR est l’une des clauses miroirs que le ministre de l’Agriculture souhaite voir instaurer par l’UE, une bataille érigée au rang de « croisade ». Il y en a d’autres, comme celle concernant les activateurs de croissance administrés aux animaux. Dans son règlement sur les médicaments vétérinaires du 11 décembre 2018, la Commission européenne a interdit l’importation de telles viandes mais l’acte délégué se fait attendre. « Plus personne ne peut comprendre que l’on importe des produits dont la production n’est pas autorisée en Europe. Il ne faut rien lâcher ».

Déforestation importée : « Loin des yeux, loin du cœur, cela n’a aucun sens au plan environnemental »

La lutte contre la déforestation importée est l’une des autres priorités de la présidence française de l’UE. En novembre dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à enrayer l’importation de produits complices de déforestation, dont le soja et la viande de bœuf. La France entend appuyer la démarche ce qui, s’agissant du soja, permettrait de faire d’une pierre deux coups, en mettant fin à l’importation de produits dont la production est interdite sur notre continent, sous réserve des trouver des substituts. « Loin des yeux, loin du cœur, cela n’a aucun sens au plan environnemental », a dit Julien Denormandie.

Green deal : « Il faut arrêter de se raconter des carabistouilles »

Concernant le Green deal (Pacte vert), la stratégie verte de l’UE à l’horizon 2030, le ministre de l’Agriculture a affirmé qu’il se montrerait « très attentif » à sa traduction législative. Faisant référence à l’étude du JRC, un organisme de recherche dépendant de la Commission européenne et dont les projections font état d’une baisse de la production agricole en UE de 13% et d’une hausse des importations de 20%, Julien Denormandie a jugé que c’était « un non-sens, en terme de souveraineté et d’environnement, de voir les deux tiers des réductions d’émission de CO2 compensées par des importations. La mise en œuvre du Green deal doit se faire de manière ambitieuse mais réaliste. Il faut arrêter de se raconter des carabistouilles ».

Carbone dans les sols : « Créer de la valeur environnementale et économique »

Le « carbon farming » ou la séquestration du carbone dans les sols fait aussi partie des priorités, nationale et européenne, de Julien Denormandie. Au plan européen, le ministre en fera la thématique principale de la réunion informelle des ministres européens de l’agriculture prévue le 6 février à Strasbourg. « Il nous faut absolument étudier le moyen de créer de la valeur environnementale et économique pour nos agriculteurs, par une augmentation de la captation de carbone dans nos sols agricoles ».