Les énergies renouvelables, un accélérateur de transition ou... d’exclusion

[Edito] Si l’agriculture a une transition énergétique à opérer et de la valeur à capter avec les énergies renouvelables, celles-ci pourraient accentuer l’hétérogénéité des revenus entre exploitations productrices et non productrices, selon une étude du CGAAER.

Le 10 janvier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables, destinée à corriger le retard de la France, seul pays de l’UE à ne pas avoir atteints ses objectifs fin 2020. L’Assemblée nationale et le Sénat doivent encore finaliser le texte dans le cadre d’une Commission mixte paritaire. La future loi devrait limiter les recours et accélérer les implantations, ici d’éoliennes, là de panneaux photovoltaïques, et répondre ainsi à l’objectif d’accélération. Mais l’accélération, elle risque aussi de se faire sentir en terme d’inégalité entre exploitations productrices et non productrices.

Hétérogénéité ou inégalité ?

C’est ce que pointe un rapport du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) publié en décembre dernier, consacré à l’évolution du revenu agricole depuis 30 ans et aux facteurs d’évolution d’ici à 2030. Avec ses millions d’hectares de terres arables et de prairies, les toits de ses hangars et ses gisements de biomasse (fumier, lisier, Cive, co-produits...,), l’agriculture a des atouts à faire valoir dans la transition énergétique et des revenus à engranger. Le secteur agricole est d’autant plus enclin à s’y engager qu’il est aujourd’hui dépendant, à 72%, des énergies fossiles. Problème ? « Les exploitations agricoles ne seront pas toutes en mesure de développer cette diversification d’activités qui suppose l’accord du propriétaire des terres dans certains cas, l’accord de création d’installations de la part des parties prenantes et la capacité de financement dans d’autres cas, lit-on dans le rapport en question. Il convient d’être très vigilant dans un domaine qui pourrait renforcer la forte hétérogénéité existant déjà entre les exploitations agricoles ». Hétérogénéité ou inégalité ?

Le scénario noir de la transition verte

Dans une autre étude, publiée aussi en 2022, le CGAAER a poussé le bouchon un peu plus loin, en se projetant en 2050, année qui correspond à l’objectif de neutralité carbone visé par la France. Des trois scénarios prospectifs étudiés, un seul permet d’atteindre l’objectif de décarbonation dévolu à l’agriculture. Baptisé « énergiculteurs » et caractérisé par une très forte prééminence du photovoltaïque, il se traduirait par un complément de revenu compris entre 5.000€/an et plus 20.000 €/an par exploitation en 2050, soit, « en contrepartie d'un faible surcroit de travail, un revenu net en hausse moyenne de 30% par rapport à 2021 en euros constants ». Carrément solaire. A ceci près que le scénario correspond à « une transition réussie des grandes et moyennes exploitations, au nombre de 240.000 en 2050 et à la quasi disparition des micro-exploitations, au nombre de 150.000 en 2021 ». A la veille d’une loi d’orientation agricole et d’une décennie qui va voir près de 20% de la SAU changer de mains, l’Etat serait bien inspiré d’imaginer un système de régulation, sinon de péréquation, conciliant transition et inclusion.