En 2050, tous énergiculteurs ?

Une étude prospective suggère une transition zéro énergie fossile à marche forcée, où 80% des exploitations seraient productrices d’énergies renouvelables en 2050, tandis que les 20% restantes risqueraient d’être asphyxiées par des factures énergétiques rédhibitoires. Où il est aussi question de la sortie de la détaxation du GNR à court terme, que compenseraient largement les revenus liés à la production d’énergies renouvelables.

Attention : étude prospective, autrement dit n’ayant pas la prétention de prédire et encore moins d’écrire l’avenir mais simplement d’anticiper différentes situations sans préjuger de leur caractère probable, souhaitable ou redoutable. La précision est importante car l’étude du CGAAER (*) sur la trajectoire de décarbonation de l’agriculture à l’horizon 2050 pourrait s’avérer inflammable, au vu de ses incidences sur la physionomie de la ferme France à cette échéance.

Pour être plus précis, l’étude porte sur les énergies fossiles et leur substitution par des énergies renouvelables (ENR), contribuant à l’objectif de neutralité carbone visé par la France en 2050. Les énergies fossiles (pétrole et gaz essentiellement) représentaient 11% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’agriculture en 2017, loin derrière les émissions de méthane (44,8%), principalement liées à l’élevage, et de protoxyde d’azote (42,6 %), essentiellement liées à la fertilisation azotée.

Un seul scénario de décarbonation en ligne avec les objectifs

La mission du CGAAER a retenu trois scénarios de décarbonation à l’horizon 2050, correspondant à trois trajectoires (optimale, minimale et médiane) liées aux choix de politiques publiques (fiscalité des produits pétroliers, soutien et accessibilité aux ENR, développement de l’autoconsommation...) et aux incertitudes pesant sur des facteurs exogènes tels que l’évolution des prix bruts de l'énergie, l’évolution de la rémunération de la production alimentaire par rapport à celle du pouvoir d'achat général, les innovations technologiques providentielles. Résultat : un seul scénario, dit « énergiculteurs » permet d’atteindre l’objectif de décarbonation. « Ce scénario correspond à une transition réussie des grandes et moyennes exploitations, au nombre de 240.000 en 2050 et à la quasi disparition des micro-exploitations, au nombre de 150.000 en 2021 ». Pour rappel, il s’agit d’une étude prospective.

Le scénario médian, dit de « volontarisme dilué », et qui ne permet pas d’atteindre l’objectif de décarbonation en 2050, est celui d’une agriculture « duale », avec la coexistence de 150.000 exploitations, modernisées, décarbonées et environ 130.000 autres soutenues par des subventions accrues pour lesquelles l'énergie est devenue un handicap structurel. Le scénario minimal est celui d’une décroissance sans transition énergétique, ni incitative à l’égard des ENR, ni désincitative à l’égard des énergies fossiles, et conduisant, sous l’effet d’une sobriété forcée, à une « extensification darwinienne » faite de 200.000 exploitations.

ENR contre GNR

Le scénario « énergiculteurs » repose au contraire une forte dichotomie entre un soutien massif à la production et à l’utilisation des ENR d’une part et la sortie de la détaxation du GNR d’autre part. La substitution du GNR aux ENR impliquerait la conversion des engins agricoles, qui représentent 53% de la consommation totale d’énergie du secteur agricole, à des énergies alternatives type biodiesel B100 et BioGNV, moyennant, le cas échéant des opérations de rétrofit pour les matériels en parc. Sans oublier le recours à l’électricité et à l’hydrogène (vertes). Quant aux bâtiments d’élevage et aux serres et abris hauts, qui représentent respectivement 11% et 10% de la consommation d’énergie du secteur agricole, c’est l’électricité et la chaleur fatale ou la biomasse qui feraient office d’alternative.

Un effort particulier serait porté sur déploiement de stations de compression de GNV à la ferme rendant possible l’auto-approvisionnement et la distribution de proximité à partir des méthaniseurs en parallèle à l’injection. La poussée des ENR passerait aussi par le développement rapide de panneaux photovoltaïques de puissance modérée « y compris au sol », les cultures de biomasse et de biocarburants, l’installation de méthaniseurs et d’éoliennes. Le soutien au développement des ENR serait notamment financé par le produit de la détaxation des énergies fossiles « dès 2023 ou 2024 sur une période de 10 ans », dégageant un budget de 1,4 milliard d’euros par an.

Davantage de revenus mais pas pour tous

La mesure engendrerait une baisse moyenne de 15% de revenu moyen de 25.000 euros. Mais toujours selon ce même scénario, le développement et la valorisation des ENR pourrait engendrer « un revenu complémentaire compris entre 5.000€/an et plus 20.000 €/an par exploitation en 2050, soit, en contrepartie d'un faible surcroit de travail, un revenu net en hausse moyenne de 30% par rapport à 2021 en euros constants ». Ce à quoi s’ajouterait un gisement d’économies de l’ordre de 15%.

Ce scénario embarquerait 80% des exploitations : 65% ont des panneaux solaires, 15% des cultures de biomasse ou de biocarburants, 5% sont associées dans un méthaniseur, 2% des éoliennes, 2% ont une surface incluse dans une centrale photovoltaïque au sol. Il exclut les exploitations qui ne produisent pas d’ENR, à l’exception de certaines productions (viticulture, maraîchage, pastoralisme).

 « Un tel scénario pousserait fortement à la disparition des agriculteurs non producteurs d'énergie en 2050, à hauteur de 7000 exploitations par an entre 2022 et 2035, indique le rapport. La facture d'énergie de ceux-ci dépasserait alors 30% de leurs charges directes contre moins de 8% en 2020. Si on ne réussit pas à développer suffisamment la production d'ENR par les agriculteurs et à faire que cette production ne soit pas limitée à une petite minorité des exploitations, il sera impossible d'équilibrer économiquement le renchérissement des énergies, sauf à créer de nouvelles subventions aux agriculteurs ». Pour information, le titre du rapport, rendu public en décembre dernier, était le suivant : « Décarboner 100% de l’énergie utilisée en agriculture à l’horizon 2050 : c’est possible ! ».

(*) Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux