Ce que Terre de liens attend d’une « grande loi foncière »

L’association Terre de liens appelle à une refondation des politiques en matière d’urbanisme et de régulation foncière qui, selon ses analyses, ne réduisent ni l’artificialisation des terres ni les phénomènes de concentration, au détriment du renouvellement des générations et des enjeux environnementaux et alimentaires.

La Fédération Terre de liens n’aura pas attendu ses 20 ans (en 2023) pour publier son premier rapport sur l’état des terres agricoles françaises. Le recensement agricole 2020, dont les premiers chiffres sont sortis en décembre dernier, lui a sans doute coupé l’herbe sous pied. Et puis l’échéance présidentielle constituait une trop belle occasion pour ne pas mettre le sujet en débat, d’autant que la fameuse « grande loi foncière » promise par le candidat-président Macron en 2017 est restée en jachère. Le président pas encore candidat Macron aura toutefois amorcé le défrichement sur la fin de son mandat, par l’entremise de la loi Climat et résilience, promulguée en août 2021 qui vise la réduction de 50% des terres artificialisées sur la période 2022-2031(comparativement à 2010-2021) et le zéro artificialisation nette en 2050. En décembre 2021, la loi Sempastous renforçait le contrôle des cessions de parts sociales, cheval de Troie à la concentration excessive, voire à la financiarisation rampante du foncier agricole.

Protection des terres : un moratoire sur la construction

Pour Terre de Liens, les avancées restent mineures à l’aune des enjeux. « Les politiques en matière d’urbanisme restent basées sur une planification incitative, déplore Tanguy Martin, responsable de plaidoyer à la Fédération Terre de Liens. L’Etat définit des objectifs, à charge des collectivités, des Régions, des communes et communautés de communes d’essayer d’atteindre ces objectifs mais cela fait des années que l’on fait ce type de planification et cela ne marche pas. Or la loi Climat et résilience a choisi d’utiliser exactement les mêmes outils ».

"L’agrandissement s’opère à bas bruit à coup de 4 ha par 4 ha"

S’agissant du contrôle des cessions de parts sociales, Terre de lien estime « le dispositif largement sous-dimensionné, efficace sur les grosses opérations médiatiques, alors que l’agrandissement s’opère à bas bruit, à coup de 4 ha par 4 ha ».

Sur la question de l’urbanisme, Terre de liens demande un moratoire sur le développement des nouvelles zones à urbaniser, en mettant cependant de côté la question du logement social, « dont la consommation d’espace est toute relative ». L’association demande l’instauration de politiques beaucoup plus interventionnistes et garantes de sobriété foncière, assorties de rééquilibrages entre territoires. Elle prône notamment la mobilisation de deux leviers fiscaux, à savoir une taxation dissuasive des plus-values foncières occasionnées par le changement d’usage des terres ainsi que l’instauration d’une taxe d’urbanisation rendant l’artificialisation plus chère que la rénovation urbaine.

Partage des terres : refonder les mécanismes de régulation

En ce qui concerne le partage des terres, Terre de liens propose de refonder les deux grands dispositifs de régulation d’accès à la terre par la propriété (via le droit de préemption des Safer) et à la location par le biais les Commissions départementales d’orientation de l’agriculture (CDOA).

"Il est toujours facile et plus rapide pour un cédant de vendre à un voisin, capable de mobiliser rapidement du capital. "

« En ce qui concerne la vente, il est toujours facile et plus rapide pour un cédant de vendre à un voisin, capable de mobiliser rapidement du capital, déclare Coline Sovran, responsable de plaidoyer à Terre de liens. Le temps d’une vente n’est pas celui du montage d’un dossier pour un nouvel installé. S’agissant de la location, les agriculteurs siégeant dans les CDOA peuvent avoir intérêt à accorder l’autorisation d’exploiter à quelqu’un déjà installé désireux de s’agrandir sinon à un modèle agricole qu’ils considèrent comme le plus important à sauvegarder ».

Selon les données de Terre de liens, les deux tiers des surfaces libérées servent l’agrandissement. La Fédération milite pour une réorientation des Schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA), privilégiant l’installation sur l’agrandissement et prenant davantage en compte les Non issus du milieu agricole (Nima), qui représentent désormais 60% des postulants, les femmes, sans compter les exigences environnementales « quasiment absentes » des SDREA. Dans les baux de sa Foncière, Terre de liens inclut des clauses environnementales.

Portage, fermage, DJA, PAT, Pac...

Pour faciliter l’installation des Nima et alléger le poids du foncier, Terre de liens plaide pour les solutions de portage d’initiative citoyenne, dont sa Foncière n’est qu’un exemple parmi d’autres (SCIC Passeurs de terres, SCIC Terres citoyennes albigeoises, lSCA Lurzaindia, l’association Paysans de Nature, les fonds de dotation La terre, Antidote...). La Foncière Terre de liens gère en propre 270 fermes et maîtrise 7500 ha « sortis de la spéculation » et porteurs de projets en agroécologie conduits par 600 agriculteurs.

L’association défend le troisième pilier de régulation (avec le contrôle des structures et les Safer) qu’est le statut du fermage, même si elle déplore les pratiques illégales de « pas-de-porte » en usage dans certaines régions. Elle met en garde également les contournements du statut à l’œuvre dans certaines initiatives, telle que la Ceinture verte, « où le prix total payer sur la durée peut s’avérer 10 fois supérieur à celui d’un bail et où les investisseurs sont rémunérés », deux lignes rouges pour Terre de liens qui ne rémunère pas ses actionnaires. « Derrière le masque du bio et de l’agroécologie il y a parfois de vraies logiques de rentabilité et de précarisation du statut d’agriculteur et de sortie du bail rural », abonde Benjamin Durier, directeur de la Fédération.

Terre de liens porte d’autre revendications comme l’ouverture de la DJA aux plus de 40 ans, l’arrêt des aides surfaciques qui poussent à l’agrandissement et au profit d’aides plafonnées accordées aux actifs ou encore la connexion entre les politiques d’installation et les Plans alimentaires territoriaux (PAT). « Nous misons sur le quinquennat suivant pour prendre en charge tous ces enjeux, conclut Tanguy Martin. La  loi ne peut pas tout mais les expérimentations de la société civile ne peuvent pas prendre en charge l’intégralité des enjeux ».