Méthanisation : « La fin du contrat aidé, un véritable Big Bang »

[Reportage] A Coussey (Vosges), les agriculteurs méthaniseurs de la Sarl G3 Environnement gèrent leur unité en cogénération sans droit à l’erreur. Les années qui passent verront la charge financière s’alléger mais aussi la fin du contrat aidé se profiler, un véritable Big Bang. Injection dans le réseau, biogaz porté, station BioGNV : toutes les options sont sur la table, y compris la cogé.

Le 28 mars dernier, l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) allumait une torchère en guise d’alerte : « 170 unités de méthanisation en cogénération exploitées par des agriculteurs, équivalant à une sur cinq, sont confrontées à des difficultés financières et menacées d’arrêt d’activité ».

La Sarl G3 Environnement est un des précurseurs de la méthanisation agricole, son unité ayant été raccordée au réseau EDF le 13 février 2013
La Sarl G3 Environnement est un des précurseurs de la méthanisation agricole, son unité ayant été raccordée au réseau EDF le 13 février 2013

Point commun aux 170 unités en situation critique : elles sont quasiment toutes en cogénération et exploitent très majoritairement des contrats BG16, les contrats les plus récents. « Les coûts d’investissement et d’exploitation ont explosé mais le tarif de rachat de l’électricité n'a pas suivi, car indexé sur un indice de l’Insee, qui n’a rien à voir avec le coût de l’énergie et avec l’inflation de nos coûts », explique Silvère Adam, trésorier de l’AAMF.

Le moteur de 800 kW a permis de gérer les à-coups de surproduction mais celui de 600 kW a été conservé en cas de panne
Le moteur de 800 kW a permis de gérer les à-coups de surproduction mais celui de 600 kW a été conservé en cas de panne

Céréalier à Coussey (Vosges), lui aussi exploite un méthaniseur en cogé au sein de la Sarl G3 Environnement, mais sur la base d’un contrat plus ancien, un BG11. « Le tarif de rachat de l’électricité est moins intéressant que le BG16 mais notre charge financière est moindre, explique Frédéric Fond, éleveur laitier à Frébécourt (Vosges) dans l’une des exploitations associées dans la Sarl G3 Environnement, la 3ème étant aussi laitière et située dans le même village. Mis en service en 2013, notre méthaniseur a généré un investissement cumulé de 3,6 millions d’euros. Aujourd’hui, il faudrait investir 6 millions d’euros pour une installation équivalente. Une pompe qu’on payait 3600 euros, on la paie 6500 euros ».

Grâce à la citerne de ravitaillement, la tonne à lisier n’est plus sur la route et les chantiers gagnent en débit
Grâce à la citerne de ravitaillement, la tonne à lisier n’est plus sur la route et les chantiers gagnent en débit

Les associés de G3 Environnement ne fanfaronnent pas pour autant. « En dix ans, on n’a pas cessé d’investir pour maximiser l’efficience de la métha et en dix ans, on s’est versé une seule fois 3000 euros de dividendes », souligne Silvère Adam. Parmi les investissements significatifs figurent le moteur thermique, passé de 600kW à 800 kW pour éviter d’allumer la torchère en cas de surproduction, et le SupraJet, un système de cavitation permettant d'augmenter la surface d'exposition aux bactéries méthanogènes et le rendement en biogaz.

La serre permet de valoriser la chaleur et de satisfaire la demande en légumes produits localement, même si la rentabilité laisse à désirer
La serre permet de valoriser la chaleur et de satisfaire la demande en légumes produits localement, même si la rentabilité laisse à désirer

Pour valoriser la chaleur, en l’absence de réseau dédié, un séchoir à plaquettes bois et une serre maraichère ont été érigés. Mais le premier a séché sur place, faute de rentabilité tandis que la serre ne fait pas de choux gras. « Commercialement, on n’est pas bon », avouent les co-gérants.

La cuverie leur permet néanmoins de réaliser des achats spots de co-produits liquides issus d’industries agroalimentaires
La cuverie leur permet néanmoins de réaliser des achats spots de co-produits liquides issus d’industries agroalimentaires

G3 Environnement a aussi investi dans des cuves de stockage des co-produits liquides issus d’industries agroalimentaires, avec un objectif double : optimiser leur intégration dans la ration et en finir avec la pratique du mélange avec le lisier, générant des odeurs problématiques vis-à-vis du voisinage. « Le problème, c’est que ces intrants sont devenus inabordables, alors qu’au départ, on nous payait pour les recycler », explique Silvère Adam. A partir de 2015-2016, G3 Environnement, comme tous les méthaniseurs, connaît en effet un point de bascule lié à l’offre et à la demande en biomasse : tout déchet organique devient intrant et qui dit intrant dit payant.

Les prairies inondables... et inondées. A l’arrière-plan, le méthaniseur de la Sarl G3 Environnement
Les prairies inondables... et inondées. A l’arrière-plan, le méthaniseur de la Sarl G3 Environnement

Le modèle économique ne vacille pas pour autant car le méthaniseur est approvisionné à 90% en intrants « maison », notamment en ensilage d’herbe issu de prairies inondables et en effluents issus de deux troupeaux laitiers. Entre la valorisation des prairies, la gestion des effluents et le retour au sol du digestat-fertilisant, le méthaniseur fait partie intégrante de l’écosystème des trois exploitations, qui mettent depuis bientôt 20 ans leur assolement en commun dans le cadre d’une Société en participation, en plus d’une Cuma.

Entre la valorisation des prairies, la gestion des effluents et le retour au sol du digestat-fertilisant, le méthaniseur fait partie intégrante de l’écosystème des trois exploitations associées dans la métha
Entre la valorisation des prairies, la gestion des effluents et le retour au sol du digestat-fertilisant, le méthaniseur fait partie intégrante de l’écosystème des trois exploitations associées dans la métha

Un peu plus de dix ans après la mise en service, G3 Environnement a (enfin et sauf mauvaise surprise) levé le pied sur les investissements tandis que se profilent à l’horizon 2027 les échéances des premiers crédits. Un peu d’oxygène dans cet univers qui le traque aussi bien dans les silos que dans les digesteurs. « Sauf qu’en 2027, notre contrat va passer de 8760 heures à 5500 heures », explique Frédéric Fond. G3 Environnement a en effet signé un avenant à son contrat EDF, avec le bénéfice du tarif de rachat BG11 pour 5 ans supplémentaires contre la baisse du nombre d’heures de fonctionnement du moteur.

L’investissement dans une station de distribution de BioGNV, comme celle de Mandres-sur-Vair (Vosges) est une option envisagée pour compenser la perte d’exploitation inhérente à la prorogation de 5 ans du contrat EDF
L’investissement dans une station de distribution de BioGNV, comme celle de Mandres-sur-Vair (Vosges) est une option envisagée pour compenser la perte d’exploitation inhérente à la prorogation de 5 ans du contrat EDF

Pour compenser la future perte d’exploitation, l’entreprise pourrait investir dans une station de distribution de BioGNV pour valoriser davantage de gaz et convertir au passage la flotte de tracteurs au gaz vert, la Cuma étant déjà convertie aux tracteurs bleus de New Holland, qui développe une gamme MethanePower. Mais la Sarl se projette déjà sur 2033 et la clôture définitive du contrat et l’impossibilité réglementaire de repartir sur un contrat aidé. « Un véritable Big Bang » déclarent les « gaziers ». « Même en valorisant les Certificats d’économie d’énergie, c'est difficile de rivaliser avec le gaz fossile ».

Injection dans le réseau, biogaz porté, station BioGNV : pour Silvère Adam (à gauche) et Frédéric Fond, toutes les options sont sur la table pour l’après-contrat aidé, y compris la poursuite de la cogé
Injection dans le réseau, biogaz porté, station BioGNV : pour Silvère Adam (à gauche) et Frédéric Fond, toutes les options sont sur la table pour l’après-contrat aidé, y compris la poursuite de la cogé

Et pourtant, il va bien falloir car les agriculteurs méthaniseurs chérissent leur unité qui, on l’aura compris, est aussi un moteur battant des trois exploitations porteuses. Injection dans le réseau, biogaz porté, station BioGNV... : toutes les options sont sur la table, y compris la cogé. En 2013, la Sarl n’avait pas eu le choix car à l’époque, l’injection balbutiait et les mécanismes de soutien n’étaient pas opérationnels. La conduite de gaz est à 4 kilomètres. « On a payé l’étude 12.000 euros et le raccordement, y en a pour 375.000 euros ». Et bang !