Plan protéines : supplique pour la semence de féverole

[Edito] Les 20 millions d’euros du Plan protéines « amont » sont partis comme des petits pains, alimentant la machine à polémiques sur les aides à l’investissement dans l’agroéquipement. Pendant ce temps, des agriculteurs regardent à 20 euros pour implanter des couverts de féverole, au système racinaire « dentesque ». Après l’âge du métal, l’âge du végétal ?

Des presses-enrubanneuses, des ensileuses automotrices, des remorques autochargeuses, etc. : la liste des matériels éligibles au Plan protéines « amont » pouvait poser question quant au ciblage de la mesure. Empressons-nous de dire qu’il y avait aussi des toasters, des séchoirs, des déshydrateurs ou encore des trieurs de semences de protéagineux, autrement dit des matériels « protéinés », même si l’on ensile bien la luzerne. On pouvait aussi acheter des semences de légumineuses mais pas des féveroles. A ce stade, impossible de savoir si les 20 millions d’euros ont été plutôt ensilés ou plutôt toastés. Toujours est-il que l’enveloppe a été engloutie en quelques jours, alors que la mesure court jusqu’au 31 décembre 2022.

D’où la demande de la Confédération paysanne de revoir l’équation (sous réserve que l’État remette au pot), tout en dénonçant « la faiblesse systémique » du plan et la « course au suréquipement ». La Coordination rurale prédit de son côté l’échec de l’ensemble du Plan protéines, estimant que « toutes les productions étant liées entre elles, seul un rééquilibrage des grandes cultures et des surfaces fourragères en faveur de cultures protéiques redresserait toute l’agriculture de l’UE ».

Une ode à la féverole

Lundi 18 janvier, Etienne Raulet n’était pas chez son concessionnaire favori. Il était devant son ordinateur, mais pas non plus sur le site de téléprocédure de FranceAgriMer pour tenter d’émarger aux autres volets du Plan de relance, toujours actifs. Céréalier sur 150 hectares à Longuyon (Meurthe-et-Moselle), l’agriculteur participait à l’un des trois webinaires d’Arvalis consacrés aux plantes services : couverts d’interculture, dérobées fourragères, plantes compagnes, cultures relais, couverts permanents. Trois séquences de deux heures n’étaient pas de trop pour s’immerger dans ce qui va façonner l’agriculture de ce siècle, ni plus ni moins. Même l’Union des industriels de la protection des plantes (UIPP) en convient, du bout des buses.

Etienne Raulet nous conte dans le webinaire sa conversion à l’agriculture de conservation des sols, besogneuse mais prodigue et prodigieuse. « Quand on sème un couvert, on remplace une dent par une racine (...). Je privilégie les légumineuses, la féverole en tête, notamment pour leurs facultés à capter l’azote, car on sera limité sur l’azote à moyen terme (...). Les couverts, c’est des panneaux photovoltaïques qui font office de parasol et de parapluie (...). Un sol nu après moisson, c’est un sol stérilisé sur 5 à 10 centimètres (...). Gagner 1% de matière organique, c’est gagner 30 mm de réserve utile (...). La féverole en plante compagne du colza permet de diviser les IFT par trois mais c’est sans roue de secours (...). Revenir au travail du sol si on supprime le glyphosate, ça sera un malheur ».

Distribution de miel aux voisins

Conteur, Etienne Raulet n’en est pas moins comptable de ses pratiques. « La féverole, c’est introuvable, ou disons que c’est devenu hors de prix. Il y a dix ans, quand personne n’en voulait, ça valait 180€ la tonne. Aujourd’hui, c’est le double. A 100 kg/ha, ça fait de l’argent pour un couvert, d’autant qu’une année sur trois, son installation est hypothéquée par la sécheresse. J’ai produit de la graine de féverole sur ma ferme mais les rendements ne sont plus là, sans que je ne me l’explique. Du coup, je baisse la dose de féverole et je l’associe à du trèfle, de la phacélie ou du tournesol. Les gens sont contents de voir des tournesols en fleur à l’automne. J’ai installé deux ruches sur ma ferme histoire de voir si je faisais aussi bien au-dessus du sol qu’en-dessous. Aidé par un ami, j’ai produit une quantité faramineuse de miel. J’en distribue des petits pots à mes voisins pour leur montrer que mon système respecte l’environnement. On ferait mieux d’aider les gens à acheter de la semence de féverole plutôt que de la ferraille ».