Les Pyrénées-Orientales, en état de semi-aridité, en attendant l’aridité de « paperasse »

[Reportage] Des agriculteurs catalans ont rejoint le mouvement de contestation qui gagne l’Occitanie, en bloquant l’autoroute A9 à hauteur de Perpignan, dénonçant un « sentiment d’abandon », dans un département où la sécheresse confine à la semi-aridité et à l’aridité des revenus... au contraire de la « paperasse ».

Après le blocage, depuis plusieurs jours, de l’autoroute A64 reliant Toulouse (Haute-Garonne) à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), des agriculteurs ont bloqué ce lundi l’autoroute A9 à hauteur de Perpignan (Pyrénées-Orientales), à 40 kilomètres de la frontière espagnole. « Aujourd’hui, c’est toute l’Occitanie qui se met à feu et à sang et si on n'aide pas son agriculture, si on ne la prend pas en considération, demain, il n’y aura plus d’agriculture dans cette région », a lancé David Drilles, secrétaire général de la FRSEA Occitanie.

Les agriculteurs ont d’abord bloqué l’accès et la sortie de Perpignan-sud, avant de bloquer la circulation de l’A9 dans les deux sens
Les agriculteurs ont d’abord bloqué l’accès et la sortie de Perpignan-sud, avant de bloquer la circulation de l’A9 dans les deux sens

Une soixantaine de tracteurs venus de tout le département ont convergé ce lundi vers le péage autoroutier de Perpignan-Sud, en bloquant l’accès et la sortie, avant d’en entraver la circulation dans les deux sens.

"Si c’est pour laisser crever les agriculteurs français, ça sert à rien de faire les beaux et de dire on est les meilleurs "

« C’est bien beau de vanter l’agriculture française mais si vous rentrez des produits de partout, avec des normes différentes, et si c’est  pour laisser crever les agriculteurs français, ça sert à rien de faire les beaux et de dire on est les meilleurs », déplore Benoit Bousquet. La veille, avec d’autres producteurs, le viticulteur bio installé à Estagel (Pyrénées-Orientales) a été reçu à la sous-préfecture de Céret. « Depuis un ou deux ans, ils ont toutes les informations et ils demandent de réexpliquer les problèmes alors que nos représentants sont montés plusieurs fois à Paris ».

A Perpignan, préfecture des Pyrénées-Orientales, il est tombé 238 mm en 2023, l’équivalent de la pluviométrie de Marrakech (Maroc)
A Perpignan, préfecture des Pyrénées-Orientales, il est tombé 238 mm en 2023, l’équivalent de la pluviométrie de Marrakech (Maroc)

Le département des Pyrénées-Orientales connait une situation hydrologique critique depuis l’automne 2022, à telle enseigne que le BRGM fait état d’un risque d’intrusion saline « fort », du fait de la forte sollicitation de la nappe profonde. A Perpignan, il est tombé 238 mm en 2023, l’équivalent de la pluviométrie de Marrakech (Maroc). En mai dernier, le ministre de l’Agriculture s’était porté au chevet des agriculteurs catalans, soumis à des restrictions d’irrigation.

"Les travaux de construction d’un golf ont démarré sur la commune de Villeneuve-de-la-Raho, c'est incompréhensible"

Du côté des infrastructures de stockage, c’est le statu quo. Enfin presque. « Les travaux de construction d’un golf ont démarré sur la commune de Villeneuve-de-la-Raho, c'est incompréhensible, fulmine Julien Bousquet, producteur de fruits et légumes à Thuir, secrétaire général des JA66. Certes, il sera arrosé à partir d’eaux usées traitées mais l’agriculture peut aussi valoriser ces eaux ».

L’Agly, un fleuve côtier à sec, le 21 janvier à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)
L’Agly, un fleuve côtier à sec, le 21 janvier à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)

Eau, phytos, gazole : des moyens de (sous)production

L’eau n’est pas le seul facteur de production en souffrance. Il y a aussi les produits phytos, tels ceux utilisés dans les vergers de cerisiers.  « On avait deux insecticides et on nous les a supprimés, sans aucune compensation, alors que ces produits restent autorisés dans certains pays européens, dénonce José Saqué, arboriculteur à Céret. On nous parle de filets de protection mais personne n’a les moyens d’investir 30.000 à 40.000 euros par hectare ».

David Drilles, secrétaire général de la FRSEA Occitanie : « La France reste la France, on veut laver plus blanc que blanc et la surtransposition fait loi »
David Drilles, secrétaire général de la FRSEA Occitanie : « La France reste la France, on veut laver plus blanc que blanc et la surtransposition fait loi »

Un procès en surtransposition à peine déguisé. « La France reste la France, on veut laver plus blanc que blanc et la surtransposition fait loi », pointe David Drilles. Le renchérissement du GNR, sous l’effet de l’abandon progressif de la défiscalisation, fait aussi grincer des dents. « D’ici à quelques années, on va payer deux euros le litre, soit le prix du blanc, redoute Benoit Bousquet. Sauf qu’on a des engins qui consomment 40 ou 50 litres par heure. A deux euros le litre, avec le matériel et le chauffeur en plus, c’est pas possibleOn sort entre 300 et 400 euros par mois de salaire, quand vous faites 70 à 80 heures par semaine, rapporté au coût horaire, je n’en connais pas beaucoup qui le feraient ».

Benoit Bousquet, viticulteur bio installé à Estagel (Pyrénées-Orientales) : « D’ici à quelques années, on va payer 2 euros le litre, soit le prix du blanc. Avec des engins qui consomment 40 ou 50 litres par heure, avec le matériel et le chauffeur en plus, c’est pas possible »
Benoit Bousquet, viticulteur bio installé à Estagel (Pyrénées-Orientales) : « D’ici à quelques années, on va payer 2 euros le litre, soit le prix du blanc. Avec des engins qui consomment 40 ou 50 litres par heure, avec le matériel et le chauffeur en plus, c’est pas possible »

Dans les Pyrénées-Orientales, l’aridité affecte aussi les revenus. Et pourtant, l’Etat n’est pas resté inactif avec par exemple la réforme de l’assurance récolte, censée renforcer la résilience des systèmes agricoles ou encore un dispositif d’aide spécifique au département. « J’ai touché à peine plus de 400 euros », poursuit le viticulteur. « L’assurance récolte, dans un département comme les Pyrénées-Orientales, c’est du pipeau, déclare Davrid Trilles. On est sur quatre années successives d’aléas, qui font que la moyenne olympique fait perdre tout intérêt au dispositif. Pour ce qui est des prairies, les photos satellite nous disent qu’il y a de l’herbe alors que les éleveurs sont obligés de se séparer de leurs animaux par manque de fourrage ». Quant à la distillation de crise, elle fait sourire le viticulteur de Baixas, « le département ayant toutes les peines du monde à produire 480.000 hectolitres ». Elle devrait néanmoins concerner entre 60.000 et 80.000 hectolitres.

Barrage, bouchon et au fond, le massif du Canigou (2784 mètres) qui désespère la neige
Barrage, bouchon et au fond, le massif du Canigou (2784 mètres) qui désespère la neige

Concernant la fameuse « simplification », vantée par les pouvoirs publics, les agriculteurs attendent encore de ne plus voir la couleur des fameux Cerfa. « On nous a vendu du rêve avec la dématérialisation, déclare Benoit Bousquet. Il y a 10 ou 15 ans en arrière, on envoyait un fax et c’était fini. Là, c’est des papiers sur des papiers et les dossiers ne communiquent pas entre les services ». « Sur les exonérations de Taxe sur le foncier non bâti, on attend de la simplicité et de l’automaticité », suggère David Drilles. Pour ne pas dire de l’aridité.