Biocoop et l'affaire du Brocoli Gate

Mercredi 6 novembre 2024, au salon Marjolaine Bio qui se tient au parc Floral de Paris à Vincennes, s’est déroulée la conférence de Biocoop, leader de la distribution spécialisée bio en France. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec le président de l’enseigne Henri Godron, et Frédéric Faure, vice-président, sur l’affaire du brocoli qui avait mis l’année dernière, les agriculteurs verts de rage.

C’était le jeudi 1er février 2024, lors des blocages qui secouèrent la filière agricole. Sur le rond-point, à quelques centaines de mètres du Marché d’intérêt national (MIN) de Châteaurenard, dans les Bouches-du-Rhône, un barrage filtrant fut rapidement formé pour intercepter les marchandises en provenance de l’étranger. Le cortège d’agriculteurs en bio se rassembla ensuite devant les centrales d’achat connues pour se fournir en produits étrangers puis devant plusieurs sites du MIN. Ce choix n’est pas anodin, car le MIN entretient des liens privilégiés avec le réseau Biocoop, qui avait récemment développé un pôle important pour étendre sa plate-forme logistique. Fruits et légumes gâtés, lisiers, pneus et projectiles en tout genre ont été déversés devant Biocoop.

Des produits venus de l’étranger

Parmi les critiques formulées, voire huées à l’encontre de l’enseigne, l’importation de produits à bas coût dont le désormais célèbre brocoli. Selon le journal La Provence, un agriculteur prénommé Lilian témoigna : « Voilà une société qui prétend défendre le commerce équitable et qui, au lieu de travailler avec les producteurs locaux, fait venir ses brocolis par exemple, d’Italie ».

Mais, importe-t-elle réellement ses produits de l’étranger ? Lors de la Conférence Biocoop de novembre 2024, le président Henri Godron a réfuté cette allégation. Selon la charte du leader du marché de la bio en France, Biocoop propose à ses clients des produits à 87 % d’origine France (hors denrées exotiques), tandis que 89 % de leurs fruits et légumes productibles en France, sont d’origine France, 100 % bio et respectueux de la saisonnalité.
Le site de Biocoop précise « pour les fruits et légumes, la priorité est donnée aux produits d’origine française ou à défaut d’Europe du Sud. Seuls les fruits et légumes non cultivés en Europe sont importés (ananas, bananes…) ». Peut-être qu’il y a eu une confusion entre les magasins Biocoop et son concurrent Naturalia ? Ce dernier prône le bien manger et a récemment introduit des produits non bio dans ses rayons, exceptés pour les fruits et légumes mais qui ne viennent pas exclusivement de France. Par exemple, on peut trouver en ce moment des courgettes longues, cultivées en Espagne et vendues à 4,98 €/kg.

Le crucifère pour crucifier l’enseigne

Le brocoli, encore lui, a également été cité par un autre agriculteur, dans une vidéo par le journal, La Provence même jour, qui accusa l’enseigne de pratiquer une politique commerciale similaire à celle des supermarchés, intransigeante sur les calibrages des fruits et légumes ainsi que sur les prix. « Depuis trois jours, j’ai des brocolis, je leur propose, ils n’achètent pas »avant d’ajouter
« moi je me trouve coincé, sans d’autres solutions pour vendre. Et la semaine prochaine, ils imposent une promotion (…) ou j’accepte, ou je jette ma marchandise, je n’ai pas le choix ».

Lorsque Pleinchamp demande à Frédéric Faure de commenter cet évènement de l’année dernière et de la persistance de la colère des agriculteurs envers l’enseigne, il a tenu à s’expliquer sur ce que le groupe Biocoop a surnommé le « Brocoli Gate », en référence au scandale américain du Watergate impliquant des écoutes illégales et l’espionnage politique.

« Je pense que les manifestants ne s’en sont pas pris à la bonne cible »

« Nous soutenons l’agriculture paysanne et de proximité », affirme Frédéric Faure. Ce n’est pas une personne qui décide mais 20 groupements de producteurs associés. Auparavant au nombre de 21, mais le groupe Cabso, société de coopérative agricole biologique du Sud-Ouest, suite à sa liquidation judiciaire, en juillet dernier.
« Nous sommes 3000 fermes réparties sur tout le territoire, couvrant 4 filières de production », précise Henri Godron « nous sommes une enseigne sociétale et militante ». Frédéric Faure rappelle que Biocoop « entretient des relations historiques avec ses partenaires fournisseurs, composés à 99 % de TPE-PME et petites ETI, excluant les grands groupes ».
L’approvisionnement local est privilégié, avec 15 % de la marchandise provenant de producteurs situés dans un rayon de 150 km. Face à l’inflation et au détournement des consommateurs des produits bio, les GMS ont réduit leur gamme, jugeant que ces produits n’étaient pas assez rentables. « Mais pas Biocoop, affirme Henri Godron, nous maintenons notre engagement envers la filière bio et les agriculteurs ».

Louise Delaroa
Henri Godron, président de Biocoop et Frédéric Faure, vice-président

Les représentants de l’enseigne ont confirmé que les brocolis en question n’ont pas été achetés au producteur mentionné. « Biocoop n’est pas parfait, reconnaissent le président et le vice-président, nous pratiquons le commerce équitable qui rémunère les paysans. Lorsqu’il y a un écart important entre la demande en baisse et l’inflation, ou la fermeture d’un de nos fournisseurs, on cherche des solutions ». Quand le groupe Cabso a été mis en liquidation judiciaire, Biocoop a proposé aux agriculteurs de livrer directement leurs produits. Frédéric Faure reconnaît une évolution de ses pratiques. Chaque magasin est géré de manière automne, ce qui peut expliquer les disparités dans les pratiques observées. « Certains agriculteurs vendent l’ensemble de leur production aux opérateurs, d’autres préfèrent être indépendants. S’ils n’ont pas vendu au moment où on en avait besoin, ils ne sont pas pris. Avec nos sociétaires, à 90 % ça se passe bien, mais on ne sera jamais à l’abri d’une colère ».

Si la crise agricole est loin d’être terminée, Biocoop affirme son engagement envers les agriculteurs et la filière bio. Concernant les producteurs laitiers bio délaissés par Lactalis, dont une partie pourrait être reprise par Biolait, Henri Godron déclare : « ce n’est pas de notre responsabilité de sauver une filière mais on fera notre part ». Il assure que Biocoop s’organisera avec Biolait pour leur approvisionnement.

Alors que la FNSEA et les JA ont appelé à manifester le mercredi 14 novembre, le « brocoli gate » évitera peut-être à Biocoop de ne plus recevoir des brocolis, encore moins des tomates, ce n’est pas de saison !