Bovins : turbulences sur le marché de la viande

Turbulences sur le marché de la viande : à-coup conjoncturel ou tendance de fond ?

C'est le grand chamboule tout sur le marché de la viande bovine en 2019. Le contexte économique européen et les conditions climatiques ont bouleversé les flux d'animaux et leurs cotations. Depuis deux à trois ans, la tendance baissière semble être la norme sur le prix des gros bovins. Elle reflète les difficultés conjoncturelles et structurelles du secteur, même si de plus en plus d'initiatives voient le jour pour contrecarrer ces difficultés.

Dynamique sur le premier semestre 2019, les échanges de broutards se sont complexifiés à partir de l'été. La sécheresse a compromis le pâturage et les stocks fourragers dans le bassin naisseur du massif central, encourageant aux sorties prématurées de broutards. Les engraisseurs nationaux ou italiens restaient jusqu'à présent frileux pour remplir leurs bâtiments, dans l'expectative des prochaines récoltes de maïs et d'une reprise des cotations du JB. Les cours ont ainsi amorcé une baisse très marquée, dès juillet, de l'ordre de 15 à 20 centimes/ kg pour les broutards charolais. Alors, à-coup conjoncturel ou tendance de marché ?

La demande en animaux vivants devrait retrouver une certaine dynamique, portée par l'Italie. Deux facteurs laissent à penser à une reprise de leurs importations : les engraisseurs ont retardé la sortie des jeunes bovins pour gagner quelques kilos supplémentaires et ainsi optimiser leur marge dans un contexte de prix favorable en Italie sur le JB U. L'autre facteur est l'augmentation de la consommation de viande bovine amorcée depuis deux ans en Italie. Ce sont principalement les ventes de Scottona (génisses de 14 mois) qui tirent les volumes vers le haut, avec un retour aux achats des jeunes ménages. Ainsi, la demande croissante en laitonne se confirme sur les principaux pays importateurs de broutards français. Les envois de femelles en 2019 ont augmenté de +8,5 %, alors que ceux des mâles ont chuté de -0,5 %. Les pays du Maghreb, Algérie en tête, sont toujours présents sur les marchés des races rustiques et ont importé déjà près de 40 000 têtes depuis le début de l'année.

Sur le marché des gros bovins, le contexte macro-économique perturbe les équilibres

La récession en Allemagne impacte la consommation des ménages et la demande des industriels en jeunes bovins. Cette situation touche le marché français à double titre : d'une part, les exportations de jeunes bovins français vers cette destination ont baissé de plus de 4 %, entraînant une érosion des cotations sur les JB laitiers ; d'autre part, l'offre importante de vaches de réforme germaniques peu chères exerce une pression sur les cours des vaches françaises. La menace du Brexit perturbe les prix des animaux en Irlande : ventes anticipées des bovins, conflit avec les abatteurs... Le marché européen se trouve ainsi encombré, générant une réelle tension sur les cours des animaux français malgré une offre indigène restreinte, en vache et en JB. Sur le marché intérieur, la valorisation des carcasses de réformes allaitantes devient de plus en plus complexe pour les opérateurs de la filière. Les avants sont aujourd'hui valorisés en haché pour répondre à une demande croissante des consommateurs. Pour les muscles arrières la demande porte de plus en plus sur du catégoriel et de moins en moins sur des carcasses entières, avec des morceaux qui ne trouvent pas d'acheteur en fonction des saisons, entraînant une baisse de la valorisation moyenne de la carcasse entière.

Pour contrer cette tendance, des initiatives se mettent en place sous la forme de contrat tripartite, suite aux EGA, entre éleveurs distributeurs et opérateurs filière. Ces démarches visent à mieux coordonner les besoins de la filière (en termes de race, poids, saisonnalité) et la production, en offrant des garanties de prix. D'autres œuvrent à améliorer certains processus industriels pour revaloriser des morceaux nobles par de la maturation sous vide ou engagent des certifications environnementales sur des bonnes pratiques d'élevage. Du côté des éleveurs, la prise de conscience des changements structurels du marché est perceptible. Mais il faudra aller plus loin et plus vite dans l'adéquation Offre/Demande si on veut atteindre les objectifs du plan filière, soit 40 % de Label Rouge sur l'offre en découpe et 30 % de la production de gros bovins contractualisée avec des indicateurs de coût de production. L'enjeu relève donc de la capacité de cette filière à conduire des projets de manière collective en vue de :

• « Re » -donner des garanties et de l'envie aux consommateurs en adaptant les modes de production aux besoins et attentes des acheteurs, par la différenciation des produits.

• S'organiser pour répondre à des opportunités de marchés export, pouvant être créateur de valeur telle que la Chine. Actuellement, cinq entreprises d'abattage ont obtenu l'agrément pour exporter, avec un objectif de 30 000 t /an. Sur l'an passé, seulement 6 t ont été exportées du fait de la lenteur des premiers accords, liée aux contraintes techniques et administratives assez fortes. Mais une accélération devrait s'opérer avec la suspension des importations brésiliennes et l'investissement humain fait par les cinq opérateurs pour développer les ventes vers cette destination.

• Enfin, coordonner la mise en place de nouveaux services (mise en quarantaine des animaux, filière sans antibiotique) pour fidéliser ou conquérir de nouveaux clients. La préparation sanitaire des animaux, et plus particulièrement des broutards, avant de les exporter peut- être une voie de contractualisation et donc de valorisation pour les éleveurs. Cette demande, faite par les engraisseurs italiens par exemple, permet d'alléger le protocole sur place et l'usage des antibiotiques. Cela va dans le sens de l'adaptation à la demande du client et à une différenciation du produit vers le « sans antibiotique ». Il reste à espérer que la somme de ces initiatives permette un ruissellement de valeur vers les producteurs, ce qui était la promesse des EGA. Dans un contexte où la décapitalisation du cheptel, qui semblait de prime abord conjoncturelle, pourrait elle-même devenir structurelle et favoriser les imports en France de viande bovine, gageons que l'esprit de conquête et l'opportunisme encouragent chaque acteur de cette filière à relever les défis de demain !

Article extrait de la veille économique - Nov. 2019 - Nathalie VELAY et Sabine MICHEL - Cerfrance