L’Inra implante un verger zéro pesticide dans la Drôme

Le verger multi-espèces et circulaire est conduit sans aucun intrant, ni bio, ni biocontrôle. Mais pas sans haies, buissons, couverts, bandes fleuries, pierriers, perchoirs, nichoirs, abris pour chauves-souris, mares... Objectif : pousser la biorégulation dans ses derniers retranchements.

« Au sein de l'Inra, nos travaux en matière de lutte raisonnée, intégrée ou biologique remontent à plus de 50 ans », déclare en préambule Sylvaine Simon, directrice-adjointe de l'UERI Gotheron (Unité expérimentale de recherches intégrées) située à Saint-Marcel-les-Valence (Drôme). « L'expérience nous a montré que l'on peut effectivement réduire l'usage des pesticides et améliorer la durabilité des systèmes de production. Sauf que vous finissez par atteindre un pallier, en-deçà duquel vous altérez les paramètres quantitatifs et qualitatifs préjudiciables à la rentabilité. Le but du projet Alto, c'est de percer ce plafond de verre, en renonçant à tous les intrants, en dehors de l'eau, et en mobilisant tous les leviers propices à une biorégulation des maladies et ravageurs ».

Feuille blanche, stylo vert

Armés de stylos verts, les chercheurs de l'Inra, associés à de nombreux partenaires (Agri Bio Ardèche, Agribiodrôme, Chambres d'agriculture, Ctifl, Grab, lycée agricole du Valentin à Valence etc...) sont partis d'une feuille blanche. Exit le verger mono-espèce et mono-variété en rang de brugnons. Place à un verger composite : pommier, abricotier, pêcher, prunier, figuier, noisetier, grenadier, néflier, amandier, châtaigner, sans oublier la vigne et les petits fruits pour la partie productive. En prime, ces espèces à vocation alimentaire (et économique) partagent l'espace avec des espèces à vocation écosystémique : bandes fleuries, buissons, ouverts végétaux, à commencer par la luzerne, participant à la fertilité des sols, complétée par des apports de fumier. L'objectif est d'assurer le gîte et le couvert aux auxiliaires et seulement aux auxiliaires. Et comment fait-on le tri ? « La stratégie consiste à empêcher les bio-agresseurs de pénétrer dans le verger », répond Sylvaine Simon. « Il faut ensuite empêcher l'installation de ceux qui auront franchi la barrière, puis leur développement et enfin leur installation ».

Igloo, barrières, spirales

La feuille blanche n'est pas rectangulaire : elle est ronde, comme le verger Alto, d'un diamètre de 160 m et couvrant 1,6 hectare. « A la façon d'un igloo, le cercle est la forme géométrique qui offre le moins d'interface avec l'environnement, donc qui réduit les risques d'intrusion », explique la chercheuse. Les plantations, qu'il s'agisse des espèces productives et des espèces écosystémiques, sont plantées en cercle.

Les deux cercles extérieurs combinent des arbres de haut jet pour protéger du vent, des arbustes pour favoriser la biodiversité, des amandiers et châtaigniers pour produire des fruits à coque. Puis entrent en scène six spirales alternant, d'une spirale à l'autre et au sein de chaque spirale, des séquences de fruits à pépins et à noyaux. « L'objectif est double », indique Sylvaine Simon. « Il s'agit de créer des ruptures pour les bio-agresseurs tout en facilitant l'organisation du travail au sein du verger, les opérateurs pouvant réaliser leurs interventions sur une espèce unique en dérivant d'un cran au bout de chaque séquence ».

Inutile de préciser que les variétés sélectionnées le sont pour leur caractère résistant aux parasites. A l'intérieur d'une même espèce, des précocités extrêmes sont choisies pour créer des vides sanitaires et interrompre le cycle de parasites tels que le carpocapse du pommier. La dissémination des feuilles porteuses d'inoculum de tavelure est réfrénée par les haies denses de plantes à petits fruits. La prophylaxie est bien entendu de rigueur : broyage des feuilles, retrait des branches mortes etc. La mare trône au centre tandis que pierriers pour reptiles, perchoirs, nichoirs, abris pour chauves-souris sont dispersés.

Durable, rentable, vivable

Le verger Alto a été implanté en février 2018 et depuis le départ, y compris dans sa phase délicate d'implantation, il n'a été fait d'entorse au cahier des charges zéro phyto, zéro biocontrôle. Pas même de pièges à phéromones. « Pendant les 15 à 20 ans à venir, nous allons mesurer, évaluer, analyser toutes les interactions », souligne Sylvaine Simon. « Le projet inclut bien évidemment une dimension économique, en termes de rendements, de qualité et de valorisation. Nous nous pencherons également sur la charge mentale inhérente à ce verger multi-espèces ». Alto ou le verger durable, rentable et vivable.