GAMAE : des jeux sérieux pour répondre à de sérieux enjeux

L’INRAE présente GAMAE, la première plateforme française de ressources scientifiques et techniques dédiée aux « jeux sérieux » comme réponses aux enjeux agricoles, environnementaux et alimentaires des territoires.

Cette institutionnalisation du jeu comme outil de réflexion stratégique est une première française (et deuxième mondiale) qui prend racine au sein de l’UMR territoires (unité mixte de recherche) sur le campus des Cézeaux à Clermont-Ferrand. Le projet mobilise des dizaines de chercheurs, issus de l’INRAE, l’UCA (université Clermont Auvergne), VetAgro Sup ou encore AgroParis Tech.
Si le jeu sérieux reprend les mêmes mécaniques que le jeu de divertissement pur, il se différencie par son utilité et sa capacité à impacter le monde réel en amorçant des réflexions collectives autour de problèmes spécifiques. Véritable outil de médiation, le jeu sérieux, qu’il soit vidéo, de plateaux ou de cartes, facilite le dialogue et la conception de solutions collectives innovantes et adaptées, là où, parfois, l’absence de communication entre les acteurs empêche toute synergie. « Notre but est d’enrichir la boîte à outils des acteurs territoriaux » explique François Johany, ingénieur d’études à l’UMR territoires.

Outil de concertation


L’intérêt du jeu réside dans le fait que « les mêmes règles s’appliquent à tous » : la parole, distribuée de manière équilibrée par un animateur entre les joueurs, se libère. Dans ce contexte favorable à la concertation, les participants partagent leurs connaissances, leurs expériences et leurs idées pour résoudre ensemble des situations tirées du monde réel, telles que le retour du loup, l'invasion de tiques ou encore la nécessité de faire évoluer les pratiques au sein des exploitations agricoles.
En faisant jouer les participants leur propre rôle (élu, agriculteur, transformateur…), les leviers et contraintes propres à chacun sont mis en lumière, les problèmes sont mieux identifiés et priorisés, et un travail de structuration des actions collectives pour les résoudre peut commencer.
« L’utilisation du jeu ne va pas révolutionner les fermes, mais, articulée avec d’autres types d’accompagnement, elle apporte une grande ouverture pour la réflexion car tous les participants sont obligés de s'exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas dans les formes de concertation plus classiques » souligne Rebecca Etienne, doctorante encadrée par l’UMR, qui mène depuis 2020 une thèse sur la transformation des systèmes fourragers dans une dynamique collective au sein du territoire AOP fourme de Montbrison.
« On s’est vite aperçu que gérer la participation durant un jeu n’allait pas de soi » rapporte François Johany.
Face à ce constat, GAMAE propose également de former les animateurs aux différents jeux pour assurer le respect de leurs règles et faciliter les échanges constructifs dans un climat non jugeant.

Des jeux conçus sur mesure


Pour répondre au mieux aux besoins de chaque territoire, GAMAE propose de concevoir des jeux sur mesure, dans le cas où aucun des 118 jeux de sa ludothèque numérique, mise en ligne courant décembre, ne traiterait la problématique ciblée par le demandeur.
Pour ce faire, la plateforme dispose d’un fab lab (laboratoire de fabrication) où des prototypes de jeux sont réalisés et testés : « on mobilise toutes les disciplines au sein de l’INRAE pour concevoir nos jeux, toujours en collaboration avec les acteurs du territoire » explique François Johany. À titre d’exemple, l’institut a créé avec l'aide de producteurs des Combrailles le jeu de cartes « Go ticks », qui met en scène la concertation entre professionnels et citoyens autour de la gestion du risque tiques, problématique récurrente sur ce territoire.
La plateforme est particulièrement adaptée aux organismes avec un petit budget, « mais s’il y a besoin de produire à grande échelle, on peut également faire appel à des éditeurs de jeux » précise l’ingénieur.

Des effets encore étudiés

« Les jeux sérieux produisent des effets puissants, mais compliqués à évaluer » constatent les ingénieurs. C’est pourquoi l’équipe de GAMAE consacre beaucoup de temps à l’analyse de parties jouées et à leur impact sur le moyen-long terme. Devant leurs écrans, les chercheurs scrutent les parties filmées et observent dans le détail les comportements, les interactions ou encore le champ lexical utilisé par les joueurs. Dans un deuxième temps, les chercheurs notent si la vision et les habitudes des participants, vis-à-vis de la thématique du jeu, ont évolué : « on réalise un debriefing à la fin du jeu pour évaluer le gameplay (jouabilité) et les connaissances acquises par chacun. On revient à postériori vers les participants pour constater ce qui a bougé dans leurs pratiques (notamment agricoles) : qu'est-ce qui a été mis en place, est-ce que ça répond de façon satisfaisante à la problématique soulevée par le jeu, est-ce que ces solutions sont durables et adaptées économiquement à l'exploitation ? » précise Sylvain Dernat, ingénieur d'études à l'UMR territoires.
Si l'on s'attend à des résultats prometteurs, il faudra attendre encore quelques années de recherche avant d'obtenir des données précises sur l'impact réel de cet outil sur les individus et les territoires.