La chasse et la venaison invitées à s’organiser en filière

Selon un rapport du CGAAER, l’accroissement des prélèvements de gibier impose au monde de la chasse une mutation vers une organisation de type filière, au service d’une valorisation pleine et entière de la venaison. Au-delà des aspects sanitaires et financiers se joue aussi la légitimation de la chasse.

« Chaque chasseur doit prendre conscience qu’il est porteur d’une capacité́ de valorisation faible et de dévalorisation considérable, dès lors que le gibier prélevé́ ne serait pas acheminé dans les meilleures conditions possibles vers les différentes modalités de consommation. (...) Cette situation inédite résulte du fait que la chasse ne s’est jamais organisée dans son histoire comme une structure de production de viande destinée à une consommation de masse comme l’élevage. C’est donc en réalité́ une révolution sociologique, pour nombre de chasseurs, qui doivent désormais passer en quelque sorte « de la capture et du partage tribal » à, pour partie, une venaison à mettre en marché pour des tiers ».

Dans un rapport consacré à la valorisation de la venaison (définie comme toutes viandes et carcasses des espèces chassées et destinées à la consommation humaine), le Conseil général de l’Agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) invite le secteur de la chasse à s’affranchir d’une approche de cueillette au profit d’une organisation de type filière.

Une zone « grise » sur l’autoconsommation

La hausse des prélèvements depuis une vingtaine d’années justifie en grande partie ce changement de pied, selon la mission du CGAAER. Les prélèvements annuels sont estimés à 1,5 million de têtes de grand gibier et 30 millions de petit gibier, soit respectivement 17.081 tonnes et 9.450 tonnes de viande nette, l’équivalent d’environ 1% de la consommation française de viande. Problème : aucune statistique officielle ne permet de quantifier l’autoconsommation. Selon les estimations du CGAAER, fondées sur des témoignages des chasseurs, elle représenterait 90% des tonnages mais 44% de la venaison rapportée étant offerte, l’autoconsommation « vraie » serait inférieure à 50%. Le solde de 50% constitue potentiellement une « zone grise », avec une valorisation en circuits courts « occultes », au-delà des proches des chasseurs, voire à des bouchers, traiteurs et restaurateurs sous forme de pièces de viande et non de carcasse. Cette pratique contrevient aux règles sanitaires en vigueur qui exigent en l’espèce un agrément.

En l’absence d’enregistrements centralisés des ventes en circuit court, le CGAAER estime qu’il est impossible d’estimer les volumes de venaison transitant par cette zone « grise », puisqu’elle est à la jonction de la destruction des carcasses, de l’autoconsommation, des cessions par les chasseurs aux particuliers ou aux détaillants.

Autre élément défavorable : du fait de la surabondance de certains tableaux de chasse, des animaux, notamment des sangliers seraient détruits, une pratique « non objectivée » et relevant de « situations exceptionnelles », relativise le CGGAER, mais de nature à porter préjudice à l’image de la chasse.

Munitions, chambres froides et centres de collecte

Le CGAAER formule plusieurs recommandations convergeant vers une seule et unique finalité : valoriser l’intégralité de la venaison auprès des consommateurs finaux. Selon un sondage Ifop (février 2021) mentionné dans le rapport, deux tiers des français (63%) se déclarent prêts à acheter du gibier issu du terroir de France. Or 51% des volumes de viande de gibier mis sur le marché national (circuit long et circuit court) sont issus de l’importation.

Pour assurer des débouchés à la venaison, en préambule, les chasseurs sont invités, dans un délai de trois à cinq ans, à ne plus utiliser les munitions comportant du plomb (utilisées à 95%), dont les résidus dans les carcasses sont préjudiciables à la santé selon l’Anses. Pour quelques euros de plus par an, le recours à des munitions à base de cuivre flatterait en plus la balance commerciale, en faisant le jeu des deux seuls encartoucheurs français de munitions à balles rayées, aujourd’hui importées à 95%.

La mission invite la filière à rédiger un guide des bonnes pratiques d’hygiène afin de renforcer la qualité sanitaire initiale des carcasses et de donner des gages aux opérateurs en aval. Pour les mêmes raisons, le parc de chambres froides au sein des sociétés de chasse doit être étoffé (50% en seraient dotées, dont 50% à l’état dégradé), au même titre que les centres de collecte, alimentant le circuit long, avec dans ce cas le soutien des communes, intercommunalités et régions dans le cadre du Feader.

En ce qui concerne l’écoulement de grosses pièces, la mission propose d’expérimenter un dispositif dérogatoire de remise au commerce de détail, ou au consommateur final, d’une durée de 3 à 5 ans, préalable à une éventuelle évolution de la réglementation.

Structuration, contractualisation et communication

Le CGAAER recommande que les collecteurs, les ateliers de traitement, de découpe, les unités de transformation et les artisans traitant du gibier soient représentés à l’interprofession et préconise que celle-ci s’attache à collationner et à publier, chaque année, un minimum de données sur les activités liées à la chasse et notamment la venaison.

La mission recommande à l’interprofession et au monde fédéral d’établir et d’encourager les bases d’une forme de contractualisation, communiquée à l’ensemble des gestionnaires de chasse concernés. Cette anticipation prendrait tout son sens pour les chasses dont le volume de venaison dépasse des niveaux de référence.

Elle recommande enfin à l’interprofession, au monde fédéral, aux transformateurs, aux distributeurs, de se mobiliser sans délai pour élaborer un plan de communication durable, visant à répartir et développer la consommation sur l’année, à assortir cette communication d’une mise en avant de produits élaborés et conservés de viande « de gibier » qui s’appuie sur une communication générique du « gibier de France » assortie d’une référence géographique régionale de forte notoriété.

« Il est heureux que les promoteurs de la chasse, dans leur ensemble, aient pris conscience de cette nécessité car il s’agit d’abord de ne pas "dévaloriser" plus que de "valoriser" », conclut le CGAAER. C’est un enjeu majeur de légitimation de la chasse française, donc de son avenir ».