Comprendre l’enjeu du carbone en agriculture

Partie 7/7

Zoom sur : le programme de rémunération carbone Soil Capital

Interview de Chuck de Liedekerke, président de Soil Capital.

Chuck de Liedekerke, président de Soil Capital

Qu’est-ce que Soil capital et quels sont ses objectifs ?

Soil capital est une entreprise créée en 2013 par des agronomes et des agriculteurs principalement. Notre but est de promouvoir une agriculture respectueuse de l'environnement. Pour cela nous avons développé d'une part un logiciel qui permet aux agriculteurs de calculer leur empreinte en gaz à effet de serre et d’autre part un programme qui certifie ce calcul. Les agriculteurs sont ainsi rémunérés s’ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre ou s’ils séquestrent du carbone.

Le rôle de Soil Capital est concrètement de permettre une rémunération pour les agriculteurs qui s’engagent dans des démarches vertueuses pour la vie du sol et vont ainsi pouvoir générer et vendre des certificats carbone. Nous facilitons le diagnostic et la certification de l'impact carbone qui exigent une compréhension assez fine des méthodologies et une certaine complexité administrative.

Puis, nous apportons une meilleure compréhension des leviers d'action dont dispose l'agriculteur pour optimiser sa rémunération carbone. Nos rapports montrent aux agriculteurs quels sont leurs postes d'émission et de séquestration des gaz à effet de serre et partagent aussi des données d’ensemble qui permettent à chacun de se situer par rapport aux agriculteurs du même groupe. L’objectif étant que chacun puisse savoir où il va avoir le plus grand impact carbone tout en gérant au mieux son risque agricole.

Sur quelle méthode est basé votre programme ?

Dans notre cas, la méthodologie de calcul est un outil appelé le « Cool Farm Tool (CFT) », créé en partenariat entre l’université d’Aberdeen, Unilever et le Sustainable Food Lab. Il calcule l’empreinte carbone des exploitations en considérant leurs émissions et le stockage du carbone dans le sol. L'utilisation de cette méthodologie a permis de développer un programme qui répond aux conditions nécessaires pour bénéficier du standard ISO 14064-2 pour le calcul des gaz à effet de serre. Ce standard international est essentiel pour tous les acteurs impliqués sur le marché carbone que ce soit les agriculteurs, les agronomes ou les acheteurs afin de délivrer un certificat qui a la même valeur et la même reconnaissance pour tous. Ils sont ainsi rassurés quant à la solidité des certificats carbone que nous mettons sur le marché.

Ce sont des méthodologies qui vont s'appliquer à tous types d'exploitation ?

Non justement, aujourd'hui ce programme s'adresse d'abord aux agriculteurs en grande culture. Nous sommes en train de travailler sur un module pour les éleveurs. Actuellement, notre programme est déployé en France, en Belgique et au Royaume-Uni.

Combien d'agriculteurs sont déjà inscrits et qu’en est-il des acheteurs carbone ?

Nous avons aujourd'hui plus de 150 agriculteurs qui ont adhéré au programme Soil Capital Carbon et une dizaine d'entreprises qui achètent des certificats carbone. Pour l'instant, il n'y a pas de souci d'équilibre entre les agriculteurs vendeurs de carbone et les entreprises acheteuses. Nous arrivons à vendre tous les certificats carbone qui nous sont générés par les agriculteurs. Pour les agriculteurs nous ferons en sorte que les certificats trouvent toujours un acheteur. Il y a aujourd’hui plus de demandes pour les certificats carbone que d’offre. Ce marché est en plein essor. Nous rencontrons de plus en plus d’entreprises qui s'intéressent aux certificats carbone des agriculteurs. Nous travaillons également en partenariat avec des coopératives, des négoces ou des agronomes indépendants, qui peuvent ainsi suivre et accompagner les agriculteurs dans leurs démarches.

Pour les agriculteurs, combien représente cette compensation financière ?

Aujourd'hui l'agriculteur se voit rémunéré à minima 27,50 € par certificat carbone, donc par tonne de CO2 équivalent évitée ou stockée. 80% des certificats sont vendus immédiatement et 20% sont maintenus dans une réserve d'assurance pour assurer la permanence du carbone dans les sols. La réserve d’assurance est destinée à compenser un « événement de perte » en cas de dégagement imprévu de carbone sur l’exploitation. Sans événement de perte, cette réserve est libérée dans les dix ans suivant l’émission des certificats carbone et reversée à l’agriculteur.

Quelles sont les motivations principales des agriculteurs pour s'intégrer dans des programmes tels que Soil Capital ?

Même un agriculteur qui est aujourd'hui émetteur peut prétendre à la rémunération carbone en modifiant ses pratiques afin de réduire son impact environnemental. Les agriculteurs qui s’engagent dans notre programme sont des agriculteurs pragmatiques qui comprennent qu'ils vont devoir changer de pratiques. Ils veulent mesurer l'impact de leur activité sur l'environnement et bénéficier de cette rémunération supplémentaire lors de la transition vers une agriculture bas carbone. Il y a aussi des pionniers de l'agriculture de régénération, principalement des jeunes et qui voient dans notre outil de diagnostic, pas seulement un accès à la rémunération carbone mais aussi une belle manière de piloter sa ferme avec des objectifs plus environnementaux.

Ce dernier point est important selon vous ?

Oui, il y a effectivement l'aspect de la rémunération carbone qui reste très important pour l'agriculteur mais il y a aussi autre chose derrière cette rémunération. C'est une reconnaissance quantifiée et certifiée que l’agriculture peut faire partie de la solution à certains problèmes environnementaux dont on se préoccupe de plus en plus. Ceci a lieu dans un contexte où souvent l'agriculteur est décrié pour des pratiques que l'opinion publique ne comprend pas toujours. C'est une bonne manière de rendre à l'agriculteur la dignité et la reconnaissance de ses bonnes pratiques. Il n'y a pas plus attaché à une terre et à un écosystème qu’un agriculteur. Ce programme est une bonne manière de le démontrer.

 

C'est la fin de ce guide consacré à l'enjeu du carbone en agriculture. Vous souhaitez relire certains chapitres ? Cliquez ici pour retourner au sommaire.