Après-betterave (5/5) : Un régime sans sucre mais pas sans eau

Après la fermeture de la sucrerie de Bourdon (Puy-de-Dôme), la Limagne a dû se résoudre à abandonner la betterave. La prochaine bataille sera celle de l’accès à l’eau, en écho au changement climatique, qui n’épargne pas l’Auvergne. En supposant que l’eau finisse par couler, encore faudra-t-il que les agriculteurs ne coulent pas... sous son prix.

« La Limagne a perdu la bataille du sucre, elle ne devra pas perdre celle de l’eau ». Baptiste Arnaud, premier vice-président de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, a eu tôt fait de se projeter dans l’après-betterave, un an après l’arrêt de la sucrerie. Le jeune agriculteur, qui en produisait 30 ha, les a en partie remplacées par des légumes secs sur 5 ha et des légumes de plein champ sur 1,5 ha. Car il a la chance d’avoir accès à l’eau.

Ce n’est évidemment pas le cas de tous les producteurs, ex-betteraviers compris. « Pour une exploitation en sec comme la mienne, l’avenir est compliqué, déclare Régis Chaucheprat, président du Syndicat Nouvelles Limagnes, ex-CGB Limagnes. « Sur les six campagnes passées, on a subi la sécheresse à cinq reprises. Comment voulez-vous investir dans de nouvelles productions si vous n’êtes pas en capacité de les produire ? »

La betterave affectée par les sécheresses

Dans les deux départements betteraviers qu’étaient l’Allier et le Puy-de-Dôme, la moitié des 4.000 ha de la sole betteravière était irriguée. Les épisodes successifs de sécheresse ont indéniablement contribué à affaiblir l’espèce. « Le changement climatique ne se réduit pas à une modification de la pluviométrie », analyse Orane Debrune, conseillère spécialisée en grandes cultures à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. « On dû aussi faire face à de nouveaux bioagresseurs tels que les charançons. Des rotations plus courtes ont aussi, dans certaines situations, impacté les rendements et par voie de conséquence la rentabilité de la betterave ».

Ce n’est pas l’abandon d’une culture qui va contribuer à allonger les cycles culturaux. La conversion en betterave fourragère, si elle n’est pas totalement à exclure ici ou là, restera marginale « Problème de transport et de stockage », pointe Baptiste Arnaud. Au passage, l’arrêt de la betterave a privé les éleveurs locaux d’une source d’affouragement, équivalant annuellement à 70.000 t de pulpe et 15.000 t de mélasse. Le développement de la luzerne comblera en partie le manque, mais là encore, l’opération sera plus assurée avec des garanties sur la ressource en eau. Quant aux légumes secs, filière émergente, la lentille et le pois chiche pourront faire sans, mais pas le haricot.

Une politique de l'eau qui navigue à vue

En Auvergne comme sur le reste du territoire, les aménagements hydrauliques doivent être « conquis de haute lutte ». Le Conseil Régional a ouvert une enveloppe ouvrant la possibilité de financements pour des projets collectifs comme individuels, mais le cadre réglementaire reste encore sujet à interprétations, à évolution, comme l’illustre la révision en cours des Sdage, et à une forte pression sociétale.

« Beaucoup d’agriculteurs ayant des projets hésitent devant ce cadre réglementaire complexe où les financements nécessaires ne seront rentabilisés que si l’on a en face la garantie que l’eau ne sera pas soumise à restrictions d’usage trois années sur cinq » , indique Orane Debrune. « Indispensable aux productions de semences à forte valeur ajoutée, l’eau est tout aussi vitale pour les cultures de diversification telles que les cultures maraichères ou la production de légumes de plein champ. Autant de denrées promises à des débouchés locaux via différents circuits de vente, dont le Projet alimentaire territorial du Grand Clermont. Il y a aussi des progrès à réaliser en terme d’efficience ou de stratégie d’adaptation mais il n’est pas sûr que cela suffise ».

« Des réserves de 10.000 m3 peuvent ici ou là répondre à des situations individuelles mais c’est d’un plan stratégique global dont nous avons besoin », estime Baptiste Arnaud.

"Sur la question de l'irrigation, on met la tête dans le sable"

« Si on se projette dans 15 ou 20 ans, ce n’est pas avec des réserves de 10.000 m3 que l’on va y arriver », déclare Baptiste Arnaud. « Sur la question de l'irrigation, on met la tête dans le sable », abonde Régis Chaucheprat. « L’an passé, il est tombé beaucoup d’eau sur certains secteurs au mois de juin. Faute d’infrastructures, l’eau est aussitôt partie à l’océan, pendant que des betteraves mourraient de soif un peu plus loin ».

La profession n’a pas manqué de mettre le sujet sur la table, à l’occasion d’une visite de Julien Denormandie dans le Puy-de-Dôme à la mi-octobre. « Au plan politique, on est entendu, estime Baptiste Arnaud. « C’est au plan sociétal que l’on doit convaincre nos concitoyens de la nécessité de réaliser des aménagements hydrauliques d’envergure, servant tous les usages de l’eau ».

Sur le maïs conso, la rentabilité de l’irrigation devient de plus en plus tangente (Crédit photo : MC Auvergne Agricole)
Sur le maïs conso, la rentabilité de l’irrigation devient de plus en plus tangente (Crédit photo : MC Auvergne Agricole)

Des factures d’eau à la hausse

Dans le Puy-de-Dôme, un PTGE va se mettre en place d’ici à quelques semaines. Cependant, projets de territoires ou pas, les exemples de résistance sont légion partout en France. Outre les débats sociétaux, se pose aussi la question des investissements à consentir dans des barrages et des retenues. Si l’argent coule à flot en ce moment, il va falloir de l’énergie au secteur agricole qui rame à contre-courant sur le sujet, même si, comme le répètent à l'envi les défenseurs de l'irrigation, « on mange l’eau davantage qu’on ne la boit ».

La question financière se pose aussi à l’échelle des exploitations, car avec le renchérissement de l’énergie, les factures s’envolent. « Il y a quelques années, j’étais sur une moyenne de 300 €/ha, déclare Christophe Maffre, céréalier à Chidrac (Puy-de-Dôme). En 2019, je suis monté à 900 €/ha avant de retomber à 650 €/ha cette année ». Sur le site de l’ex-sucrerie, Cristal Union a mis en vente les bassins de rétention, dont la capacité équivaut à l’irrigation de 1.500 ha. « Trop cher pour nous », fulmine Baptiste Arnaud.

Tous les articles de la série :

Après-betterave (1/5) : « Quand la diversification devient la norme »

Après-betterave (2/5) : « Se reconnecter à l’élevage avec la fibre de luzerne »

Après-betterave (3/5) : « C’est le début des haricots »

Après-betterave (4/5) : Les protéines végétales, du grain à moudre pour Limagrain Coop

Après-betterave (5/5) : Un régime sans sucre mais pas sans eau