Après-betterave (4/5) : Les protéines végétales, du grain à moudre pour Limagrain Coop

La coopérative s’investit dans le développement de légumineuses à graines pour l’alimentation humaine et de luzerne à l’intention des AOP fromagères auvergnates. En dépit des défis techniques et économiques, notamment en légumes secs, la démarche trouve un écho certain auprès des agriculteurs, dans une région marquée par la disparition, à jamais, de la betterave sucrière.

« Notre réflexion stratégique a précédé l’arrêt de la betterave sucrière. Le sujet, c’est de trouver des cultures valorisantes, diversifiées et durables pour les 1.500 adhérents de la coopérative », déclare en préambule Carine Pothier, responsable nouvelles filières au sein de Limagrain. La précision s’imposait car la concomitance entre l’émergence des filières à vocation protéique et l’arrêt de la filière betteravière aurait pu le faire penser.

Chronologiquement, les projets de Limagrain ont en effet été lancés avant l’annonce de la fermeture de l’usine au printemps 2019, laquelle crée la stupéfaction, avec des réactions en cascade. Environ 300 planteurs tirent un trait sur 4.000 ha d’une culture à forte valeur ajoutée. Des entreprises de travaux agricoles investies dans l’arrachage se retrouvent sur le carreau. Les éleveurs perdent avec les pulpes une ressource alimentaire des plus intéressantes. Une centaine d’emplois directs et indirects est sacrifiée.

La fermeture de l’usine, propriété de la coopérative Cristal Union, la plus ancienne sucrerie métropolitaine et la seule encore présente au sud de le Loire, était inimaginable. Son sort était pourtant rapidement et irréversiblement scellé, écornant au passage l’image de la coopération.

Carine Pothier, responsable nouvelles filières chez Limagrain
Carine Pothier, responsable nouvelles filières chez Limagrain

Haricot, lentille, pois chiche

On ne peut pas dénier au groupe semencier son obsession de la quête de valeur, depuis la production de semences et ses contrats sans égal en cultures de plein champ jusqu’à la fabrication de pains et pâtisseries sous l’entité Jacquet Brossard, en passant par les ingrédients à base de blé et de maïs intégrés dans de multiples produits agroalimentaires (farine, aliments, infantiles, corn flakes).

"Pour les légumes sec, on est en mode start-up"

« Avec les légumes secs que sont les haricots, les lentilles et les pois chiches, nous ouvrons un nouveau chapitre, déclare Guillaume Baglin, directeur de la filière légumineuses chez Limagrain. A ce stade, on est encore en mode start-up. On étudie différentes voies de transformation et de valorisation sachant que sur ce type de matières premières, on se confronte au marché mondial avec des challengers nord-américains sur la lentille ou méditerranéens sur le pois chiche ».

En 2020, la coopérative a implanté un total d’environ 350 ha auprès de 70 adhérents, et assuré le soutien technique, les légumineuses étant une découverte pour la plupart des producteurs. « Les résultats sont plutôt encourageants, sauf pour la lentille, pénalisée par des conditions exceptionnelles, dues à la présence importante de viroses inoculées par des attaques massives de pucerons, du jamais vu dans la plaine de Limagne et ailleurs en France, relate Carine Pothier. Nos producteurs de semences de lentilles, pourtant rompus à la culture, ont eux-mêmes subi de gros revers. L’année 2020 est un accident ».

Parcelles expérimentales de lentilles
Parcelles expérimentales de lentilles

Transition alimentaire (humaine)

En légumes secs, la coopérative se fixe un premier horizon de 1.000 ha. Côté débouchés, c’est encore l’expectative. « Toutes les options sont sur la table, indique Guillaume Baglin. On se positionne très clairement sur la transition alimentaire, vouée à réserver aux protéines végétales une part plus importante dans notre régime alimentaire. Il nous faudra sans doute étoffer la palette de produits pour convaincre davantage de consommateurs à se porter sur les légumineuses. Il faudra également que la chaine de valeur rémunère tous les acteurs tout en restant accessible au consommateur ».

Guillaume Baglin, directeur de la filière légumineuses chez Limagrain
Guillaume Baglin, directeur de la filière légumineuses chez Limagrain

En juillet 2020, Limagrain a pris une participation majoritaire dans l’entreprise Nutrinat, basée à Castelnaudary (Aude), spécialisée dans l’élaboration de plats et de préparations à base de céréales et de légumineuses, 100% bio. Elle pourrait valoriser une partie des légumineuses produites en Auvergne même si, pour l’instant, la coopérative cherche à asseoir les itinéraires en conventionnel, sans s’interdire des démarches sans résidu de pesticide.

Autonomie alimentaire (animale)

Le second volet protéines concerne l’élevage et plus précisément la production de foins de luzerne (et d’enrubanné). Limagrain est partie prenante d’un projet de création en plaine d’une filière de luzerne à proximité de la zone AOP Saint-Nectaire, en collaboration avec l’interprofession de l’AOP et plus largement l’ensemble des AOP fromagères du Massif Central.

"Avec un taux moyen de MAT de 18%, les craintes des céréaliers ont été levées"

Le projet ne manque pas d’arguments puisqu’il raisonne et résonne autonomie fourragère, appréhension du changement climatique, restauration de la fertilité des sols, amélioration du bilan carbone. Avec un défi de taille : trouver l’équation économique qui satisfasse éleveurs et céréaliers. « Nous avons mis au point un contrat pluriannuel avec un prix minimum garanti assorti de compléments de prix indexés sur le taux de matières azotées, avec un minimum de 16%, déclare Carine Pothier. Ce contrat est une première en luzerne. Les craintes des céréaliers concernant le taux de 16% ont été rapidement levées, le taux moyen atteignant 18% ».

Le projet vise la place d’environ 1.000 ha de luzerne à moyen terme. La Coopérative fournit également en foin de luzerne des négoces agricoles du territoire, tels que Proxiel à Aigueperse (Puy-de-Dôme). Elle espère pouvoir approvisionner dans le futur d'autres AOP fromagères de la Région ou des labels race à viande, ce qui nécessitera toutefois une adaptation du cahier des charges, pour permettre l’intégration de fourrages produits hors de la zone délimitée par l’AOP ou le label. C’est ce qu’a réalisé l’AOP Saint-Nectaire en 2018 en autorisant un maximum de 30% de fourrages produits hors AOP. Aigueperse, ce n’est pas non plus le Mato Grosso...

Tous les articles de la série :

Après-betterave (1/5) : « Quand la diversification devient la norme »

Après-betterave (2/5) : « Se reconnecter à l’élevage avec la fibre de luzerne »

Après-betterave (3/5) : « C’est le début des haricots »

Après-betterave (4/5) : Les protéines végétales, du grain à moudre pour Limagrain Coop

Après-betterave (5/5) : Un régime sans sucre mais pas sans eau