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Après-betterave (2/5) : "Se reconnecter à l’élevage avec la fibre de luzerne"
A Chidrac (Puy-de-Dôme), Christophe Maffre a converti sa sole betteravière, et même un peu plus, en luzerne, exploitée en foin et vendue aux éleveurs voisins en AOP Saint-Nectaire. Un régime sans sucre et protéiné qui met un peu de beurre dans les épinards et redonne du sel au métier, reconnexion à l’élevage en prime.
C’est l’histoire d’éleveurs en AOP Saint-Nectaire qui peinent à nourrir leurs animaux avec leurs propres ressources fourragères, dont la production et la productivité sont entamées par le campagnol terrestre sinon par les sécheresses à répétition, et qui complètent leur affouragement par des achats extérieurs, parfois lointains, permis par l’AOP.
A quelques encablures de là, des céréaliers cherchent à diversifier leur assolement et à allonger les rotations pour des motifs agronomiques autant qu’économiques. Une problématique exacerbée par la perte de la betterave sucrière, rayée de la carte auvergnate suite la fermeture de la sucrerie de Bourdon, basée à Aulnat (Puy-de-Dôme), après 182 ans de bons et loyaux services. « La solution était sous nos pieds, déclare Christophe Maffre. Il s’est toujours fait de la luzerne dans la région, mes grands-parents en produisaient pour leurs vaches. Et puis les vaches sont parties et la luzerne avec. La betterave l’a en partie remplacée ».
Limagrain Coop établit la connexion
Aujourd’hui, c’est le cheminement inverse qui s’opère. Mais encore fallait-il établir le pont entre la demande et l’offre. C’est là qu’intervient Limagrain Coop. La coopérative, en collaboration avec l’interprofession du Saint-Nectaire, met en place une contractualisation entre les deux parties, offrant une visibilité de trois ans aux céréaliers comme aux éleveurs. Christophe Maffre engage 7 ha dès le lancement du programme, avant une montée en puissance qui devrait aboutir à 25 ha en 2022, sur une sole totale de 150 ha.
L’agriculteur n’avait pas totalement coupé les ponts avec l’élevage, puisqu’il est membre d’une Cuma à laquelle adhère un éleveur produisant... de la luzerne. Du coup, les investissements ont été limités, l’éleveur fournissant le matériel de fauche et l’andaineur, le pressage étant réalisé par un tiers. « Au lieu d’arracher des betteraves en décomposé, on se retrouve désormais autour des chantiers des luzerne. On a simplement investi dans un andaineur de grande largeur pour optimiser la récolte ».
5 coupes, de 8 t/ha à 16 t/ha
La récolte concentre en effet une grosse part des enjeux qualitatifs de la culture. La Cuma met en place une organisation de chantier pour ne pas laisser au sol une miette de protéines, en s’interdisant notamment de travailler le produit dès que la rosée s’est évaporée. Une stratégie exigeante mais payante.
« Pour cette première année, on a enregistré un taux de protéine supérieur à 18% de la matière sèche, ce qui nous permet de toucher un bonus puisque le contrat fixe un taux de base de 16% », indique le producteur. Les rendements ne sont pas mal non plus. En irrigué, moyennant cinq coupes, il s’est établi à 16 t/ha de matière sèche. Le tout participe à la compétitivité de l’espèce.
« La marge est inférieure à celle de la betterave, concède Christophe Maffre. Mais le travail n’est pas le même non plus. Je pense que l’on est sur des niveaux équivalents au blé, au colza ou encore au tournesol ». La montée en puissance de la luzerne dans l’assolement va cependant s’opérer en partie en sec, avec des espoirs de rendement de l’ordre de 8 t/ha à 10 t/ha. Il faudra alors refaire les calculs. L’irrigation est en effet réservée en priorité au maïs. « En quelques années, le coût de l’irrigation a été multiplié par deux, confie l’agriculteur. En face, il faut sortir de la valeur ajoutée pour la rentabiliser ».
Qu’à cela ne tienne, l’agriculteur s’est engagé sur au moins trois ans en luzerne. A l’issue de cette période, il commencera à capitaliser sur son effet précédent, ainsi que son effet résiliant, à l’échelle du système d’exploitation. Les fibres de la luzerne flattent aussi la fibre auvergnate, malmenée par l’arrêt de la betterave. « C’est quand même moins idiot que d’aller acheter de la luzerne en Espagne », concède le producteur. Peut-être pas de quoi motiver une réintroduction de l’élevage sur l’exploitation mais en tout cas de croquer avec toujours moins de modération dans le Saint-Nectaire. Sans risquer la carie.