Bassines du Poitou : à fleur d’eau... et de peau

Dûment autorisée mais contestée par des associations environnementales, la création de 16 réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre Niortaise ne fait pas l’unanimité dans la profession. Un défi au Varenne de l’eau et du climat qui a fait vœu de dépassionner le débat sur la gestion de l'eau et sur l'irrigation.

A l’appel de plusieurs organisations, dont le collectif Bassines non merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne, des manifestants ont investi le site de construction d’une réserve de substitution collective sur la commune de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) le 6 novembre dernier, soit 3000 personnes et 25 tracteurs selon la Confédération paysanne.

La manifestation a donné lieu à des échauffourées, au cours desquelles deux gendarmes ont été blessés, selon le ministre de l’Intérieur. Les manifestants ont par ailleurs vidé une bassine de 5 ha (180.000 m3) située à quelques encablures de là, sur la commune de Cramchaban (Charente-Maritime), avant de la neutraliser, en démontant les installations de pompage et  la débâchant. « La construction, le remplissage et la vidange sont illégaux », a justifié sur son compte Twitter Benoît Biteau, député européen EELV et éleveur en Charente-Maritime, avec à l’appui un extrait de jugement datant du 11 juin 2018.

10 ans de procédures

Le projet fait l’objet depuis plusieurs années de mouvements de contestation, dont la fréquence et la vigueur s’intensifient avec l’entrée en construction des deux premières réserves. Le projet remonte à 2011. Il est porté par la Coopérative de l’eau 79, comptant plus de 300 adhérents agriculteurs, intervenant sur trois bassins (Thouet, Sèvre Niortaise Marais Poitevin, Boutonne), situé dans les Deux-Sèvres et accessoirement en Charente-Maritime et dans la Vienne.

En 2017, la coopérative a reçu l’autorisation de construire 19 bassines pour une capacité cumulée de 16.4 millions de m3. Après un recours déposé par les opposants, le projet est finalement autorisé en 2018 mais révisé à la baisse, soit 16 bassines réparties sur 14 communes pour une capacité 12.7 millions de m3, le tout sous l’égide d’un Contrat territorial de gestion quantitative (CTGQ), en l’occurrence le CTGQ du bassin de la Sèvre Niortaise Mignon Courance,

En 2020, le projet est définitivement acté, ouvrant la voie à la construction des premières réserves.

Méga-bassines ou réserves de substitution ?

Si les réserves sont dévolues à l’irrigation, elles n’ont pas vocation à accroitre le potentiel irrigable du bassin de production concerné, soit 9600 ha sur un total de 35000 ha selon la Coopérative de l’eau 79. Elles ont vocation à se substituer aux prélèvements estivaux, les plus critiques pour la ressource, à hauteur de 70% à l’horizon 2025 par rapport à 2005 et ses 24,3 millions m3, au profit de prélèvements hivernaux dans les nappes et rivières. D’où la dénomination « réserves de substitution collectives », les réserves bénéficiant à 230 exploitations représentant 435 agriculteurs. La coopérative affirme que le remplissage est contrôlé par des indicateurs de gestion de niveau d’eau qui permettent à l’Etat de contrôler les prélèvements. Parallèlement, les irrigants se sont engagés à faire évoluer leurs pratiques pour renforcer l’efficience de l’irrigation, en termes de matériels, de pilotage et d’assolement.

Le coût total du projet est estimé à 60 millions d’euros, soit 8.5€/m3 stocké. Le financement est assuré à 70% par l’Agence de l’Eau Loire Bretagne et des fonds européens Feader, le solde étant pris en charge par les agriculteurs. Il n’empêche : pour ses opposants, les « réserves de substitution collectives » ne sont pas autre chose que des « méga-bassines » au profit d’un modèle agro-industriel suranné.

"Une minorité qui s’accapare l’eau avec l’argent public, des méga-bassines qui favorisent une agriculture exportatrice contraire à la souveraineté alimentaire"

La dernière manifestation en date témoigne d’une montée en charge des joutes, physiques et verbales, entre les deux parties. « Des centaines d’hectares plastifiés », « une minorité qui s’accapare l’eau avec l’argent public », « une privatisation de la ressource en eau », « des méga-bassines qui favorisent une agriculture exportatrice contraire à la souveraineté alimentaire »... : la Confédération paysanne défend une répartition équitable de l’eau et une irrigation compatible avec les écosystèmes, qu'elle ne reconnaît dans les bassines.

La dernière manifestation en date témoigne d’une montée en charge des joutes, physiques et verbales, entre les deux parties. « Des centaines d’hectares plastifiés », « une minorité qui s’accapare l’eau avec l’argent public », « privatisation de la ressource en eau », « des méga-bassines qui favorisent une agriculture exportatrice contraire à la souveraineté alimentaire » : la Confédération paysanne défend une répartition équitable de l’eau et une irrigation compatible avec les écosystèmes.

Sur la rive opposée, la Coordination rurale juge que « la Confédération paysanne va à l’encontre des intérêts des agriculteurs et n’a plus rien à voir avec un syndicat agricole ». Dans le Lot-et-Garonne, la CR défend la légalité d’une retenue qui vaut à deux de ses représentants un procès dont le délibéré est attendu pour le 17 décembre, les mis en cause encourant des peines de prison ferme.

Coup d’épée dans l’eau ou dans la bâche ?

Les JA et la FNSEA dénoncent le fait « d’individus qui s’autorisent à saccager des biens privés, à ôter l’outil de travail d’agriculteurs qui travaillent durement et ont investi pour assurer la pérennité de leur exploitation, à se moquer des lois et des forces publiques, avec pour unique motivation, leur désaccord avec les politiques de notre pays fondées sur la croissance durable ».

Sur Twitter, Sébastien Windsor, le président de l’APCA s’est fendu du message suivant : « Combien de temps faudra-t-il encore avant que la justice ne protège ceux qui créent la protection sociale autant que ceux qui en vivent ; ceux qui entretiennent les territoires ruraux grâce à cette eau précieuse plutôt que ceux qui détruisent ».

Dans ce contexte, on souhaite bonne chance au Varenne de l’eau et du climat pour déboucher sur autre chose qu’un coup d’épée dans l’eau. Ou dans la bâche.