Varenne agricole de l'eau et du climat : trois chantiers, trois totems

La science, l’innovation et l’écoute irrigueront les travaux des trois groupes de travail dédiés à la gestion des crises climatiques, à l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et aux Projets de territoire et de gestion de l’eau. Les conclusions du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique sont attendues pour début 2022. Elles baliseront une trajectoire à l’horizon 2050.

Qui mieux que Jean Jouzel pour introduire le Varenne agricole de l’eau et du changement climatique ? Le climatologue, ancien vice-président du groupe scientifique du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), lancera ce 28 mai le Varenne agricole de l’eau et du changement climatique. Sur un sujet source de tensions et de crispations, tant au niveau territorial qu’interministériel, la science, toute la science, et rien que la science, constituera la vigie destinée à objectiver les débats et les travaux du Varenne, du nom de la rue hébergeant le ministère de l’Agriculture à Paris, organisé à la demande du président de la République.

L’eau agricole, un impensé

En rajoutant la mention « agricole » au Varenne, le ministère de l’Agriculture a souhaité doublement marquer son empreinte sur la gestion de l’eau, une prérogative du ressort du ministère de la Transition écologique. « Depuis quelques années, au sein des politiques agricoles, on a abandonné l’idée d’une pensée de l’eau à usage agricole, fait-on savoir au ministère de l’Agriculture. Le changement climatique est susceptible de remettre en cause notre capacité à produire et notre souveraineté alimentaire. Il repose la question de l’articulation entre les politiques de l’eau et les politiques agricoles ».

De son côté, le ministère de la Transition écologique replace le Varenne dans le contexte des Assises de l’eau, diligentées par Emmanuel Macron en 2017, avec une première phase centrée sur l’eau potable et l’assainissement, suivie d’une seconde axée notamment sur l’économie et le partage de la ressource. « Le Varenne agricole de l’eau et du changement climatique s’inscrit dans cet objectif prioritaire d’économie et de partage, indique le ministère de la Transition écologique. Il en est la déclinaison agricole bienvenue et indispensable ».

Un message d’apaisement, dont les ministères espèrent qu’il va déteindre sur les parties prenantes, auxquelles sera exposée en préambule une charte d’engagement, destinée à favoriser écoute et respect mutuels. Avec la science et l’écoute, l’innovation constituera le troisième totem du Varenne, l’objectif étant d’identifier et d’activer tous les leviers permettant de concilier les intérêts stratégiques, agricoles, territoriaux, environnementaux et sociétaux attachés à la ressource en eau.

Cartographie d’anticipation de sécheresse pour l’été 2021, publiée par le ministère de la Transition écologique le 17 mai
Cartographie d’anticipation de sécheresse pour l’été 2021, publiée par le ministère de la Transition écologique le 17 mai

Sécheresse et autres aléas : refonder la gestion des risques

Le Varenne, qui associera toutes les parties prenantes volontaires, va s’organiser autour de trois chantiers, à commencer par la gouvernance en matière de gestion des sécheresses, avec une mise en oeuvre opérationnelle dès cet été. « L’objectif est d’instaurer une politique d’anticipation de gestion de crise », indique le ministère de l’Agriculture. Derrière cette problématique se dessine la refondation des systèmes de gestion des risques climatiques, dont la sécheresse n’est que l’un des avatars.

Ce chantier du Varenne devrait très largement s’appuyer sur le rapport que le député Frédéric Descrozaille a remis à Julien Denormandie en avril dernier. Il préconise un renforcement de l’attractivité de l’assurance multirisque agricole (MRC) et une refonte du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), avec des calamités agricoles qui se déclencheraient indifféremment pour toutes les cultures et systématiquement pour des pertes de récolte supérieures à 50%.

« On ne peut pas demander à des agriculteurs, avec leurs niveaux de revenus, de s’assurer seuls, donc il faut que l’on invente un mécanisme », a appuyé Emmanuel Macron, à l’occasion du « Grand rendez-vous » sur la souveraineté alimentaire le 18 mai dernier.

Changement climatique : les leviers d’adaptation

Le deuxième chantier du Varenne s’attachera à explorer et à inventorier tous les outils permettant à l’agriculture de s’adapter au changement climatique, dans toutes les filières et au sein de tous les territoires. L’agronomie, la génétique et les technologies seront convoquées, tant pour atténuer le changement climatique, via notamment les techniques de stockage de carbone et d’évitement des émissions des gaz à effet de serre, que pour appréhender les manifestations du changement climatique, s’agissant des précipitations et des températures, et leur impact sur les systèmes mais aussi sur les bioagresseurs.

« L’introduction de nouvelles productions ou d’itinéraires techniques plus économes en eau et en intrants se heurte fréquemment à la structuration actuelle des filières de transformation et de commercialisation », pointaient le Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), dans leur rapport « Changement climatique, eau, agriculture : quelles trajectoires d’ici 2050 », publié en juillet 2020.

La question de l’efficience de l’irrigation sera également abordée, sous l’angle de la résilience, consistant à « abandonner l’objectif d’une production maximale pour viser l’optimum en faisant converger rentabilité agricole et économie de la ressource », selon la définition de ce même rapport.

Projets de territoire : lever les verrous

Le troisième chantier sera consacré à la mobilisation de la ressource. Outre le sujet de réutilisation des eaux usées traitées (REUT), les Projets de territoire de gestion de l’eau (PTGE) seront au cœur de ce groupe de travail. Institués en 2018 et succédant aux Projets de territoire, les PTGE ont vocation à faire émerger des projets cochant toutes les cases de la durabilité, dans une démarche de co-construction avec toutes les parties (agriculteurs, associations, institutions etc.) et de partage entre tous les usages (préservation des milieux, eau potable et assainissement, agriculture, énergie, loisirs).

Les Assises de l’eau avaient dressé une feuille de route de 50 PTGE à l’horizon 2022 et de 100 PTGE à l’horizon 2027. Selon le ministère de la Transition écologique, 43 PTGE ont été signés et 30 autres sont en cours d’instruction, dont un certain nombre sont aujourd'hui bloqués, sous l’effet de contentieux. «  J'ai demandé au ministre de l’Agriculture qu’on mette à plat tous les projets, qu’on simplifie les règles et qu’on avance, a déclaré Emmanuel Macron le 18 mai dernier. Il y a beaucoup de lenteur, et parfois de résistance, mais pas de fatalité. On a identifié les projets, on a identifié les blocages et on va maintenant accélérer grâce au Varenne ». C'est maintenant.