Caussade : prison requise en appel contre les "batisseurs" du lac

Neuf et huit mois de prison ferme ont été requis le 28 octobre contre deux dirigeants de la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne jugés en appel à Agen pour avoir fait creuser illégalement une retenue d'eau à fin d'irrigation qui est au coeur d'un conflit entre défenseurs de la ruralité, protecteurs de l'environnement et Etat.

Ces réquisitions correspondent aux peines respectivement infligées à Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, président et vice-président de la chambre consulaire, par le tribunal correctionnel d'Agen en juillet 2020 pour leur rôle dans la réalisation du "lac de Caussade". Le délibéré a été fixé au vendredi 17 décembre.

En matinée, quelque 800 personnes - selon la police - se sont rassemblées dans le calme devant le Palais de justice d'Agen pour défendre le lac et ses "bâtisseurs". Casquettes et t-shirts jaunes aux couleurs de la Coordination rurale (CR 47),  des agriculteurs étaient accompagnés d'une vingtaine d'élus de toutes tendances, dont le député LREM Olivier Damaisin ou le maire Modem d'Agen, Jean Dionis du Séjour. "Je suis fier des élus de ce département. Nous avons voté à la quasi-unanimité une motion de soutien au lac de Caussade", un ouvrage "utile économiquement et socialement", a lancé M. du Séjour, demandant de "faire passer le message" jusqu'au président de la République.

"Il me semblait que les élus de la République étaient là pour défendre et représenter le droit. Ce n'est pas le cas dans cette affaire", a ironisé Lionel Feuillas, responsable de la branche départementale de la Sepanso, partie civile.

"Humiliés, vexés"

Situé au nord de Villeneuve-sur-Lot, dans la commune de Pinel-Hauterive, le lac de Caussade a été creusé en 2019 par la chambre d'agriculture, gérée par la CR 47. Contesté par des associations environnementales, cette retenue d'eau donne lieu à une saga judiciaire doublée d'un dialogue de sourds depuis l'annulation fin 2018 - après intervention des ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture - d'un arrêté préfectoral autorisant initialement les travaux.

"Cet arrêté a été cassé pour raisons politiques", a estimé M. Bousquet-Cassagne à l'audience. "Les raisons de ce refus étaient fallacieuses, c'était un abus de droit (...), nous avions respecté toutes les procédures environnementales. Nous nous sommes sentis humiliés, vexés. Nous avons alors décidé de faire ce lac malgré tout."

Sur le plan administratif, la justice a confirmé en février en appel l'illégalité de l'ouvrage, incompatible avec le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux et pourtant opérationnel depuis l'an dernier. Selon la préfecture du Lot-et-Garonne en 2020, un rapport a aussi conclu qu'il présentait un "risque de rupture avéré".  

En première instance, les peines de MM. Bousquet-Cassagne et Franken avaient été assortie de la révocation d'un sursis, respectivement de 4 et 14 mois, attaché à une condamnation ultérieure. Ils avaient aussi été condamnés chacun à une amende de 7.000 euros et la Chambre d'agriculture à 40.000 euros, dont 20.000 avec sursis. Le 28 octobre, l'avocat général a demandé des amendes de même ampleur mais une révocation de sursis qui "ne soit pas aussi importante".

Pour Anne Roques, juriste à France Nature Environnement, partie civile, "on n'a jamais vu un président de chambre d'agriculture commettre autant d'infractions avec de l'argent public. Ce lac illégal ne se serait jamais fait ailleurs qu'en Lot-et-Garonne, où la prise en compte de l'environnement est très compliquée à cause de la Coordination rurale".

En première instance, les juges n'avaient pas ordonné la remise en état du site, contrairement aux demandes des associations de défense de l'environnement. En février, la Cour administrative d'appel de Bordeaux n'avait pas non plus suivi cette voie. "Si quelqu'un décide de toucher (au lac de Caussade), les paysans du Lot-et-Garonne ne se laisseront pas faire", a prévenu cette année M. Bousquet-Cassagne, connu pour son franc-parler.