Circuits courts : les conditions de travail sous-estimées

Le modèle des circuits courts a la cote et nombreux sont les agriculteurs à se lancer dans ce mode de commercialisation, sans anticiper les impacts futurs sur leurs conditions de travail et celles de leurs associés ou salariés. Depuis trois ans, l’Aract Bretagne étudie cette question et commence à en diffuser quelques résultats.

Être agriculteur, ça ne s’improvise pas. Être manageur non plus ! Même si l’équipe que l’on doit gérer ou cogérer est réduite, même si elle n’est constituée que d’associés ou de proches, même si on partage ou croit partager la même vision, et même pour un projet aussi enthousiasmant que la commercialisation en circuits courts !

« Quand ils se lancent dans des circuits courts, les producteurs sont accompagnés sur les plans économiques, stratégiques ou de communication par des structures comme les chambres d’agricultures ou les GAB (Groupements des agriculteurs biologiques). Mais on constate qu’il y a peu de réflexion sur l’impact que cela peut avoir sur le travail des associés et des salariés », commente Lise Delcourt, ergonome, chargée de mission à l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) Bretagne.

Une collaboration avec des OPA

C’est donc ce champ relativement nouveau que l’Aract Bretagne a décidé d’explorer, en lien avec la MSA et les GAB de Bretagne : « nous étions juste dans la période après Covid, la vente directe semblait plébiscitée, il y avait une explosion des ventes et cela avait un impact sur les conditions de travail », retrace Lise Delcourt. En lien avec ces structures agricoles, les ergonomes de l’Aract ont donc identifié des sujets prioritaires et proposé des accompagnements sur le thème de l’organisation du travail et du management en circuits courts.

« Notre rôle est d’apporter notre expertise auprès de structures volontaires et de le faire avec une vocation de transférabilité. Nous travaillons sur des expériences, puis nous capitalisons et diffusons les résultats. Ce que l’on fait en accompagnement doit servir à d’autres » explique Lise Delcourt.

Lise Delcourt, ergonome et chargée de mission à l’Aract Bretagne, lors d’une intervention auprès de salariés et responsables agricoles.

Lise Delcourt, ergonome et chargée de mission à l’Aract Bretagne, lors d’une intervention auprès de salariés et responsables agricoles.

Sur les exploitations agricoles qu’elle a accompagnées, la spécialiste remarque que l’engagement en circuits courts se fait souvent à la suite d’une « opportunité de marché ». « Il y a peu ou pas d’anticipation. Ce n’est qu’après coup que l’on se rend compte des difficultés, de la charge de travail, des temps de déplacement ou du management… Et même, parfois, que l’on se questionne sur la rentabilité de l’opération ! ».

"Ils sont tout le temps dans l'action"

Lise Delcourt remarque aussi que les professionnels agricoles prennent peu le temps de réfléchir aux questions de travail : « ils sont tout le temps dans l’action. En circuits courts, ils doivent endosser plusieurs rôles en plus de celui de producteur : commerçant, chargé de marketing, manageurles décisions se prennent vite, les professionnels agricoles ont tendance à chercher la solution directement et n’ont pas l’habitude de se poser et de cadrer les choses… ».

Pourtant, selon elle, « il est important de créer des espaces de discussion sur le travail, y compris dans des petites structures ». L’ergonome pointe notamment les problèmes de « visibilité du travail de chacun » : certaines tâches peuvent en effet être sous-estimées par ceux qui ne les réalisent pas. « Quand il y a trop de déséquilibres cela crée des tensions dans les équipes, et cela peut déboucher sur une usure professionnelle ». 

Son conseil : faire un diagnostic des tâches de chacun permet de rationnaliser le travail. « Dans un Gaec, j’ai demandé à chacun des trois associés de dire comment se passaient leur journée et leur semaine de travail », retrace Lise Delcourt. « Après cet exercice, ils se sont rendu compte que certaines tâches pouvaient être réparties différemment. Ils ont réalisé des échanges et compris qu’une autre répartition était plus logique ».

"Du mal à déléguer" 

Chez les exploitants qui emploient des salariés (et c’est souvent le cas dans les ateliers en circuits courts), Lise Delcourt remarque les mêmes tendances : ne pas prendre le temps d'organiser le travail en équipe et de déléguer les tâches. « Les producteurs ont souvent « tout dans la tête ». Ils ne sont pas à l’aise avec la notion de délégation et le passage de consignes ».

Là encore, elle insiste sur l’importance des temps de discussion en équipe « pour entendre les difficultés, avoir une vue d’ensemble de la situation et embarquer les salariés avant de prendre une décision. Il faut aussi accepter que certains choix soient faits sur des critères autres qu’économiques, en examinant les situations de travail par exemple ». L’ergonome remarque aussi que les entreprises qui réfléchissent aux conditions de travail et prennent en compte les avis de leurs salariés sont beaucoup plus attractives lorsqu’il s’agit de recruter du personnel.