Consommer « moins et mieux de viande », une affaire de l’Etat

[Edito] Portée par la restauration hors domicile, pourvoyeuse de viande importée, la consommation de viande s’affiche de nouveau en hausse en 2022, outrepassant allègrement les recommandations sanitaires. Sans attenter à la liberté individuelle, l’Etat a la capacité d’influer sur nos choix alimentaires, qui seraient davantage subis que choisis.

85,2 kilos équivalent-carcasse par habitant : c’est la quantité de viande ingérée en moyenne par chaque Français en 2022, selon une analyse conjointe d’Agreste et de FranceAgriMer. Pour la deuxième année consécutive, l’indicateur s’affiche à la hausse, outrepassant très largement les recommandations sanitaires (500g/semaine hors volaille, 150g/semaine de charcuterie). Cet appétit féroce ne fait pas forcément les affaires de l’élevage français. En effet, la croissance de la consommation de viande est portée par la restauration hors domicile, laquelle est le cheval de Troie des importations. Sur ce point, l’année 2022 a marqué une nouvelle dégradation des comptes, avec une hausse de 11,7% des tonnages importés. Les importations représentent désormais 33% de la consommation nationale de viande, avec des pointes à plus de 50% pour la viande de poulet et la viande ovine.

« Moins et mieux de viande »

Le déficit commercial est tel qu’il n’est pas compensé par les exportations d’animaux vifs, qui constituent en prime une fuite de valeur ajoutée potentielle. Ce double constat, aux plans sanitaire et commercial, conduit la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), dans un rapport publié à la mi-juillet, à prôner une rupture radicale. Celle-ci consiste à sortir de la logique « agrandissement-concentration-spécialisation-intensification-paupérisation » qui prévaut selon la FNH depuis 50 ans en France, au profit d’un élevage dit agroécologique, cochant toutes les cases de la durabilité : biodiversité, qualité des sols et de l’eau, bien-être animal, vivabilité, transmissibilité, sans oublier la réduction des émissions des gaz à effet de serre, préjudiciables au climat. Une telle réorientation permettrait d’en finir avec la « vulnérabilité » liée à notre dépendance à la viande d’importation (et au soja) sans plomber le budget de nos compatriotes, y compris les plus modestes. « Une alimentation composée de produits AB et/ou agroécologique n’augmente pas forcément le budget des ménages mais impose une évolution des régimes alimentaires vers "moins et mieuxde produits animaux », plaide la FNH.

Agir sur l’environnement alimentaire

Encore faut-il que les consommateurs opèrent eux-mêmes leur transition alimentaire, ce que les chiffres de consommation ne semblent pas augurer. Pour la FNH, il revient à la puissance publique d’agir sur l’offre de la distribution, de restauration hors domicile et des industries agroalimentaires, via différents leviers contraignants. Un récent rapport de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ne disait pas autre chose. « Le modèle actuel, qui viserait à préserver la liberté de choix du consommateur, en limitant l’action publique, revient en réalité à laisser les intérêts privés dominer les environnements alimentaires et ainsi à façonner les préférences et les pratiques alimentaires des consommateurs À l’inverse, l’action publique doit permettre de passer d’un modèle où les choix alimentaires des consommateurs risquent d’être plus subis que choisis, vers un modèle qui donne aux citoyens une nouvelle capacité de choix ». Comme l’IDDRI, la FNH invite l’Etat à se saisir de la future Stratégie nationale de l’alimentation, de la nutrition et du climat (SNANC) pour impulser la transition.