E. Macron : « Le revenu agricole, c’est la mère des batailles »

Le président de la République a conclu le « Grand rendez-vous » de la souveraineté alimentaire en évoquant plusieurs sujets d’actualité, dont le projet de loi Egalim 2, la réforme de la Pac, la lutte contre la concurrence déloyale, l’assurance récoltes, la gestion de l’eau ou encore l’usage des « phytos ». Verbatim.

Les trois piliers de la souveraineté alimentaire

« La souveraineté alimentaire à laquelle je tiens a ses piliers : le revenu qui permet le renouvellement des générations, la protection face à la concurrence déloyale et la possibilité de ré-internaliser nos filières et la protection face aux aléas climatiques »

Egalim 1, des avancées

« Avec la loi Egalim, on a demandé, filière par filière, à prendre en compte la construction du prix avec des indicateurs et des organisations de filière. Ça a marché dans certaines filières, c’est en train de marcher, par exemple le lait, car on a des producteurs qui se sont organisés, qui ont réussi à ce qu’un indicateur soit mieux respecté et on a un prix du lait qui a bien augmenté la première année et qui s’est ensuite tenu alors que chez beaucoup de voisins, il a diminué. La question du revenu agricole, de pouvoir vivre dignement de son travail, c’est la mère des batailles, la première, celle que j’ai engagée au début du quinquennat, avec le discours de Rungis, les États généraux de l’alimentation, la loi Egalim. Il faut que ce que vous payez pour votre alimentation finisse dans la cour de ferme et permette à nos agriculteurs de vivre dignement, de s’installer et à celles et ceux qui veulent investir pour améliorer leur modèle, quel que soit le modèle d’agriculture, qu’elle soit intensive, à l’export, que ce soit de l’agroécologie, de la HVE, qu’ils puissent le faire et pour cela, il faut de la rémunération et de la visibilité ».

Egalim 2, pour bientôt et pour de bon

« Les négociations commerciales telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ne sont pas satisfaisantes. C’est pourquoi il va y avoir dans les prochaines semaines un projet de loi déposé par le ministre de l’Agriculture qui va permettre de changer en profondeur ces fameuses négociations commerciales. D’abord, donner un peu plus de temps, favoriser la pluri annualité, on a besoin d’avoir de la visibilité sur les revenus, il ne faut pas toujours les négocier à l’année. C’est comme cela d’ailleurs que vous pouvez assumer des changements. Et réussir à ce que le prix soit fait à partir des coûts fixes et de la juste rémunération des producteurs, prenant en compte ensuite le coût des transformateurs et qu’il soit ainsi construit et non pas par une pression toujours à la baisse des prix par le distributeur. C’est un changement de philosophie, j’y veillerai, la loi va permettre de le faire ».

Le bœuf, une filière à l’index

« Le problème que l'on a sur certaines filières, c’est qu’elles n’arrivent pas à s’organiser. Je pense à la viande. Sur le bœuf, on a un vrai problème d’organisation de la filière et de sa modernisation. Il faut continuer, avec courage, ce que fait le ministre de l’Agriculture avec les acteurs des filières, il faut aller plus loin dans cette voie. Je le dis très clairement : si les producteurs ne s’organisent pas en organisations de producteurs, on aura beaucoup de mal à avancer ».

La viande française, à la cantine et au restaurant

« Je crois dans l’élevage français. On a un élevage de qualité, important pour l’équilibre de nos territoires, qui tient nos montagnes, qui est notre patrimoine alimentaire, gastronomique. Il faut défendre nos éleveurs et la viande française. Au moment où on va rouvrir les restaurants, j’appelle à la responsabilité. Les tables françaises servent à plus de 60% de la viande qui n’est pas française. Elle ne vient pas du bout du monde : elle vient d’Allemagne, des Pays-Bas. Il faut que l'on soit cohérent avec nous-mêmes, valorisons nos éleveurs, nos bouchers et mettons dans nos restaurants de la viande française.

"Oui, la viande fait partie du régime alimentaire qu’il faut pour avoir l’apport nécessaire en protéines."

Dans les cantines scolaires, la règle numéro un, c’est de ne pas transiger avec la santé de nos enfants. On a besoin pour que nos enfants puissent bien apprendre, grandir, devenir les meilleures adultes possibles, qu’ils soient bien nourris à l’école, surtout lorsque que trop d’enfants ont un seul repas sain et équilibré par jour. Oui, la viande fait partie du régime alimentaire qu’il faut pour avoir l’apport nécessaire en protéines, il n’en faut pas tout le temps, il ne faut pas d’excès mais il ne faut pas non plus dire que ça disparaisse ».

Les jeunes devant, la Nation derrière

« Il faut aider les jeunes à l’installation et il n’y aura pas de souveraineté agricole si nous n’avons pas un renouvellement. Je veux le dire à nos jeunes : nous avons besoin de nourrir notre peuple, l’agriculture française a réussi le pari de nourrir la France au sortir de la seconde guerre mondiale, elle a tenu et aujourd’hui elle tient. Je veux encourager nos jeunes à devenir agriculteur. C’est un beau métier, c’est un métier dur, qui a beaucoup souffert ces dernières années mais la Nation toute entière sera derrière eux ».

Une Pac au service de tous les modèles

« La Pac, c’est le socle de notre stratégie agricole, la Pac c’est notre chance, la Pac c’est environ 9 milliards d’euros par an pour l’agriculture française et c’est ce qui permet à l’agriculture française d’avoir un marché domestique de la taille de l’Europe . On a beaucoup de filières qui exportent et qui ont besoin de ce marché. Dans cette Pac, on doit réussir à différencier notre modèle. Ce sera la déclinaison nationale, le plan que prépare le ministre. Il n’y a aucun secteur de notre économie qui a des modèles aussi différents. Ça va du circuit court à la ferme bio, jusqu’à la grande exploitation exportatrice, jusqu’au produit de niche à très haute valeur ajoutée à l’exportation. La ferme française nourrit et exporte. Elle exporte de la qualité. Il faut continuer à faire une chose qui est notre chance : c’est la compétitivité hors coût, c’est à dire la qualité et dans tous les secteurs. Nous nous en sortirons en valorisant la qualité nutritionnelle de nos produits, et elle n’est pas à prouver, par nos pratiques, par l’engagement de nos agriculteurs et la qualité environnementale ».

La sur-transposition des normes, c’est fini

« Il y a une chose à laquelle je tiens beaucoup, c’est de lutter contre la concurrence déloyale. Il faut que l’on veille, le ministre et moi y sommes très attachés, à ce que l’on ne crée pas au sein du marché unique de la concurrence déloyale en n’allant pas au même rythme. Il faut que tout le monde avance au même rythme. Dans le passé, pour certaines filières, on a créé des difficultés car on n’avait pas de solution à la place de ces phytos que l’on abandonnait et du coup on mettait les agriculteurs dans des impasses quand certains voisins ne faisaient pas la même chose. Donc ce qui est important, quand on se bat par exemple sur l’environnement, c’est de le faire au niveau européen pour ne pas pénaliser la ferme France face aux Espagnols, aux Italiens et à d’autres ».

Face au dumping social et environnemental, les clauses miroirs

« En matière environnementale et sociale, on doit avoir des échanges commerciaux avec des gens qui font les mêmes démarches. On a, côté sud-américain, des pays qui déforestent, qui n’ont pas les mêmes contraintes sur les phytos, qui n’ont pas les mêmes contraintes sociales que nous. On ne peut pas demander des efforts à nos agriculteurs et importer des produits venant de ces régions. Donc pas de négociations commerciales avec des pays et des zones qui ne respectent pas les accords de Paris. Et on défend la clause miroir, c’est à dire de pouvoir refléter nos contraintes avec les gens avec qui on commerce. C’est du bon sens ».

Le Ceta, oui, le Mercosur, non

« Il y a une vraie inquiétude sur le Mercosur, je la partage puisque c’est moi qui ai bloqué le Mercosur. Il a été signé et j’ai dit ensuite : je ne le ratifierai pas. Sur le Ceta, la négociation était faite lorsque je suis arrivé en fonction. Avec l’aide du gouvernement et du Parlement, on a mis en place un débat citoyen inédit et on a remis des règles qui n’existaient pas dans la négociation initiale. On a réussi à remettre des verrous, en particulier un veto climatique, et au maximum que nos règles soient appliquées. Il y a au Canada des pratiques différentes des nôtres, on les surveille, on surveille à ce que ça ne diverge pas. Moralité : cet accord, il est bon pour la ferme France, il est positif pour nous ».

Phytos : pragmatisme et recherche

« Le but de l’Europe et de la France, c’est de diminuer drastiquement l’usage des phytos mais avec pragmatisme. C’est comme cela que l’on a adapté la copie sur le glyphosate. Quand on a une impasse, quand on n’a pas de substitut chimique moins polluant ou pas de pratiques mécaniques qui soient rentables à la place, on ne peut pas le supprimer. Je ne laisserai jamais les agriculteurs sans solution. Maintenant, on sait que l’on peut avancer sur des alternatives. On a parfois la pratique mécanique et le Plan de relance a permis de financer du rééquipement, qui permet de sortir et de réduire la part de phytos. On a parfois des substituts beaucoup moins polluants.

"La recherche est le meilleur levier pour réduire la part de phytos."

Le deuxième pilier, c’est la recherche. La recherche sur les cépages résistants permet de réduire drastiquement la dépendance aux phytosanitaires. La recherche est le meilleur levier pour réduire la part de phytos. C’est ainsi que l’on a fusionné les structures existantes pour créer INRAE, on en a augmenté le budget. On a une vraie ambition de recherche au niveau de l’agriculture et de l’agroalimentaire français ».

L’assurance récolte pour tous et par tous

« Après l’événement terrible du gel, on a fait un plan d’urgence et on a débloqué un milliard d’euros. Sur le long terme, si on veut une souveraineté agricole, on va devoir revoir complètement notre modèle d’assurance. Face à l’accélération des dérèglements climatiques, qui nous font énormément de mal, nous allons devoir bâtir, je dis « nous » parce que c’est la Nation toute entière, un nouveau régime. Il va falloir convaincre l’ensemble de nos agriculteurs de rentrer dans ce régime car on ne peut pas laisser quelqu’un en dehors de la capacité à s’assurer. Mais nous ne parlons pas d’un risque qui est assurable comme les autres, car il y a des risques absolus, des catastrophes naturelles presque, qui arrivent sur nos agriculteurs. On ne peut pas demander à des agriculteurs, avec leurs niveaux de revenus, de s’assurer seuls. Donc il faut que l’on invente un mécanisme ».

Les vannes du « Varenne » de l’eau

« Sur la sécheresse et les retenues d’eau, il n’y a pas de fatalité, on va ouvrir le Varenne de l’eau. Notre pays est traumatisé sur ce sujet, avec le drame qui s’est passé il y a quelques années à Sivens et qui ensuite a tout bloqué. J’ai demandé au début de mon mandat une revue de l’ensemble des projets et que l’on essaie de débloquer au maximum. Les choses ont avancé, on a beaucoup de projets, des petits projets de rétentions collinaire qui ont été débloqués mais ça dépend des bassins et des agences avec lesquelles les négociations se font. C’est très hétérogène. On peut avancer de manière très concrète lorsque les choses sont négociées sur le terrain, J’ai demandé au ministre qu’on mette à plat tous les projets, qu’on simplifie les règles et qu’on avance. Il faut s’intégrer dans des projets de territoire, qui sont plus ou moins rapides. Il y a beaucoup de lenteur, et parfois de résistance, mais pas de fatalité. On a identifié les projets, on a identifié les blocages et on va maintenant accélérer grâce à ce Varenne. Moi j’y crois beaucoup ».