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A. Rousseau (FNSEA) : « Ne pas décorréler la Pac des comptes de résultat des entreprises »
Le premier vice-président de la FNSEA fait du pragmatisme la ligne de conduite du syndicat et se défend de tout immobilisme à propos de la réforme de la Pac. Interview.
Que répondez-vous aux procès en immobilisme que certains pointent dans vos propositions de réforme de la Pac ?
Arnaud Rousseau : certains peuvent énoncer des grandes idées révolutionnaires mais elles se heurtent à la réalité économique des entreprises agricoles. Quand vous savez le poids des aides de la Pac dans le résultat des exploitations, le procès en immobilisme est une posture déconnectée de la réalité des comptes de résultats des entreprises agricoles. J’ajoute que c’est un faux procès car nos lignes bougent aussi. Pour autant, le rôle de la Pac est d’impulser des dynamiques de projets, d’investissement et de structuration des filières et ne peut pas être assimilé à un traitement social de l’agriculture. A la FNSEA, on se bat tous les jours pour avoir des prix rémunérateurs.
A quels endroits faites-vous « bouger les lignes » ?
Arnaud Rousseau : nos propositions partent d’un examen approfondi des deux précédentes réformes et d’un postulat qui consiste à dire qu’il faut une répartition équitable des efforts. Dans les précédentes programmations ont été mis à contribution l’élevage de plaine intensif et semi-intensif, l’élevage laitier et l’engraissement de plaine, ainsi que les grandes cultures qui avaient historiquement des DPB élevés mais à qui on a déjà beaucoup demandé. Aujourd’hui, on demande aux bénéficiaires des aides couplées animales de faire un effort. En contrepartie, on maintient une ICHN ciblée sur l’élevage alors que l’on aurait pu donner une ICHN végétale dans les zones défavorisées simples.
Comment les zones intermédiaires ressortent-elles de vos arbitrages ?
Arnaud Rousseau : la convergence doit leur permettre de voir leur DPB remonter à la condition de maintenir le paiement redistributif à 10%, tout en l’appliquant aux 63 premiers hectares, la moyenne actuelle des exploitations. Ce que les zones intermédiaires récupèreraient de la convergence, elles le perdraient avec un paiement redistributif supérieur car ces territoires sont caractérisés par des revenus faibles et des surfaces importantes, en grandes cultures comme en élevage. Nous n’avons pas souhaité instaurer un zonage car le processus aurait été long et complexe, alors que l’on sait reconnaître les exploitations à faible DPB, y compris en dehors des zones intermédiaires. On souhaite par ailleurs que les Régions ciblent leurs aides à l’investissements vers ces exploitations.
Quelle est votre conception des éco-régimes ?
Arnaud Rousseau : si les éco-régimes ont pour but de faire évoluer les pratiques, nous sommes d’accord. Si l’objectif est de laisser sur le bord de la route 20% à 40% des agriculteurs, en considérant que leurs pratiques ne sont pas adaptées, c’est non. Encore une fois, le pragmatisme doit prévaloir. Aucun agriculteur ne peut se passer de 50€/ha à 80€/ha. Ce niveau, l’éco-régime n’est pas facultatif mais obligatoire. Pour certains, cela équivaut quasiment à leur revenu. On accepte de discuter sur les efforts à consentir, on est conscient que les efforts demandés pourront être parfois intenses, mais il faut que tout le monde puisse courir la course en ayant le sentiment de pouvoir passer la ligne d’arrivée.
Faut-il renforcer les moyens alloués à l’installation ?
Arnaud Rousseau : on est très ouvert à la demande des JA de pouvoir bénéficier de moyens supplémentaires. Un JA qui s’installe, c’est un endettement assez élevé, c’est donc le bon moment pour donner un coup de pouce, en renforçant la DJA. Aujourd’hui, les aides à l’installation captent 2% des aides de la Pac, on pourrait monter à 3% moyennant une forme d’harmonisation entre les Régions, qui gèrent les politiques d’installation. Aujourd’hui, entre deux exploitations similaires, la DJA peut varier dans un rapport de un à trois selon les Régions.
Quels sont vos objectifs en matière de renouvellement des générations ?
Arnaud Rousseau : dans ce domaine, il faut se garder des discours péremptoires et idéologiques. Face au départ programmé des baby-boomers, si on arrive à remplacer un départ sur deux, ce sera un très bon résultat. Si on voit le verre à moitié plein, on se dira qu'on aura infléchi la courbe et ramené un certain nombre d’agriculteurs au métier. Si on le voit à moitié vide, on aura toujours moins d’agriculteurs. Mais il faut tenir compte de la réalité économique de notre secteur. Vous pouvez être passionné, attaché aux valeurs de l’agriculture et de la ruralité, à la vie et à la valeur patrimoniale de l’exploitation familiale, quand vous travaillez plus de 55 heures par semaine pour des revenus aussi faibles, l’attractivité du métier en prend un coup. Vous mettez derrière un peu d’agribashing et les combats idéologiques menés par tout un tas de gens qui utilisent l’agriculture à des fins politiciennes, ça fait beaucoup. Nous restons attachés à des entreprises à capitaux familiaux, avec des agriculteurs qui maîtrisent leur capital et qui prennent les décisions sur leurs entreprises.
Quelle est votre position sur l’agriculture biologique ?
Arnaud Rousseau : il faut accompagner les agriculteurs qui veulent se convertir mais avec des objectifs raisonnables, sans se déconnecter de la réalité. Aujourd’hui, on est à moins de 12% de la SAU. On ne va pas doubler ce taux en cinq ans. C’est pointu l’agriculture biologique, ce n’est pas conduit de la même manière dans toutes les exploitations et la profitabilité est aussi très variable. On va assister dans les années aux premières transmissions dans ce domaine. Il faudra y être attentif.
Quel budget et quelles orientations pour les MAEC ?
Arnaud Rousseau : nous sommes sur la ligne des Chambres d’agriculture, qui réclament des mesures de transition, sur les trois volets économiques, environnementaux et sociétaux. Son caractère forfaitaire fait débat à Bruxelles. On défend un budget de 180 millions d’euros, contre 250 millions d’euros aujourd’hui, pour donner de l’air aux aides à l’installation et à l’assurance récolte. Il faudra être vigilant sur l’applicabilité administrative pour s’éviter un nouvel accident industriel. Nous dénonçons par ailleurs le scandale des indemnisations pour la prédation, dont le budget explose, et où on demande aux victimes de payer pour leurs agresseurs.
Quel bilan tirez-vous de la Pac qui s’achève ?
Arnaud Rousseau : on aimerait que la Commission fasse le propre bilan ses politiques, ce qui n’est pas le cas. Dans un autre domaine qui est celui du Green deal et de la stratégie Farm to fork, nous attendons toujours les études d’impact de ces deux orientations à propos desquelles le Parlement européen n’a pas été sollicité. Concernant la Pac, elle aura permis à certaines exploitations de surmonter leurs difficultés tandis que d’autres auront eu du mal à surnager. La Pac reste le ciment de la famille européenne. En dépit de la volonté de quelques Etats de vouloir en sortir à chaque réforme, le caractère commun de la Pac perdure. Au-delà de la question agricole, la Pac est porteuse d’une vision pour notre continent. Le coup de semonce du Brexit est assez éclairant.