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Rapport Papin post-Egalim : les constats filière par filière
L’ancien PDG de Système U a formulé neuf propositions pour corriger les manques de la loi Egalim, adoptée à l’automne 2018. Elles reposent sur une analyse de chacune des filières concernées par les négociations commerciales, donnant à voir les forces et faiblesses des unes et des autres, ainsi que les dynamiques à l’œuvre. Ou pas.
Redonner de la valeur à l’acte de se nourrir : telle est la montagne à laquelle s’est attelé Serge Papin, en acceptant une mission d’intérêt général destinée à renforcer la loi Egalim. Le 25 mars, l’ancien PDG de Système U a remis à ses deux comandataires (ministères de l’Agriculture et de l’Économie) son rapport étayé de neuf propositions et destiné à rééquilibrer les rapport de force entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs.
A supposer que les ministres concernés s’en saisissent, la montagne pourrait ne pas accoucher d’une souris, pour au moins deux raisons. La première, c’est que la loi Egalim, en provoquant des questionnements au sein des trois maillons de la chaine alimentaire, a déjà fait bouger les lignes, avec des résultats en espèces sonnantes et trébuchantes pour certaines filières, mais pas systématiques. Sur un volet en particulier, celui de la limitation des promotions et du relèvement de 10% du seuil de revente à perte, le rapport évoque une manne de 550 millions d’euros, sans induire d’inflation, regrettant toutefois que l’intégralité de la somme n’ait pas ruisselé dans la cour de ferme.
Le second espoir réside dans un trou de souris pointé par le rapport et qui touche au quatrième maillon de la chaine : le consommateur. Serge Papin convoque des enquêtes du Credoc où il est dit que 82% des consommateurs, contre 75% en 2019, sont désormais incités à acheter un produit si l’entreprise veille à la juste rétribution des producteurs. Ou encore que les consommateurs ne demandent pas tous de baisses de prix pour les produits bruts ou issus de la première transformation. Ou enfin que la demande de produits à plus forte valeur ajoutée, tels que les produits locaux, a fortement progressé en 2020 (+10 points en un an). Il n’en reste pas moins que la montagne est haute : l’alimentation représente moins de 15% du budget des ménages contre 35% il y a cinquante ans.
Lait : décorréler le mix produit via un outil de transparence
La filière laitière est celle qui a le plus bénéficié des états généraux de l'alimentation (EGA), mais ce jusqu’au premier semestre 2020. La présence des distributeurs dans le collège de l’interprofession a été favorable. En outre, l’indicateur de coût de production pour cette filière, actuellement à 40 centimes (primes comprises), a effectivement servi de référence.
Pour ce qui est du lait de consommation, les contrats tripartites, conclus entre des enseignes, des éleveurs et LSDH, sont un exemple, car la rémunération des agriculteurs dans ces contrats est au prix PCG France
Des initiatives telles que « C’est qui le patron ? », « Juste et Vendéen », « Faire France » ou encore « Basquilait » démontrent que si une juste rémunération des producteurs est assurée, les consommateurs acceptent un prix de quelques centimes supérieur.
Le point d’achoppement concerne le mix produits : une part importante de la collecte (40% à 50% sous la dénomination export) est considérée comme une commodité (poudre de lait, lactosérum, beurre, fromage à l’export...) et sert d’argument pour rémunérer les agriculteurs sur la base des cours allemands, qui sont bien inférieurs aux prix français. La moyenne pondérée du cours allemand et de l’indicateur de référence de prix français est de ce fait tirée vers le bas.
Pour obtenir un prix français stable et rémunérateur, se rapprochant du prix de référence, il faudrait davantage décorréler les grandes catégories, c’est-à-dire inclure les marques de distributeurs dans le périmètre PCG France. Tout comme les fromages de marque vendus à l’export, fabriqués avec du lait français, qui dégagent une valeur ajoutée similaire à un produit vendu sur le territoire national. Ainsi, Danone, qui négocie avec ses éleveurs un revenu (supérieur à deux fois le SMIC) et non pas un prix par litre, pratique un prix modulaire permettant de distinguer le lait vendu en France et à l’étranger. Bel est également citée pour sa démarche de progrès et Sodiaal pour son effort à collecter le lait, même en cas de surplus.
Enfin, même si cela est moins évident, la poudre de lait vendue pour de la production française (biscuiterie, chocolaterie, glace, confiserie...) pourrait être assimilée à une revalorisation de la poudre de lait. L’intérêt de l’outil de transparence proposé est justement de mieux appréhender ce mix produits.
Viande bovine : chantiers nombreux
Le diagnostic n’est pas favorable pour cette filière, particulièrement déstructurée, avec une concentration incarnée par le groupe Bigard.
Elle subit d’une part un déséquilibre matière, encore amplifié par la fermeture des restaurants, pour les morceaux nobles et d’autre part la baisse des volumes. Le déséquilibre matière se traduit par un poids croissant du steak haché, au profit essentiellement du troupeau laitier.
L’initiative Label Rouge du troupeau allaitant est une bonne voie, mais les volumes sont encore trop faibles. Pour revaloriser la filière, il faut absolument faire fi des maquignons et contractualiser en fonction de la demande : il est indispensable de faire correspondre les besoins de l’élevage et de la consommation à un prix basé sur les indicateurs de coûts de production des viandes de qualité - mieux, mais moins. Le cheptel allaitant doit sans doute évoluer vers des races moins lourdes.
Les abattoirs de proximité, y compris dans leur version itinérante qui se développe mais pose encore des questions sur le plan sanitaire, méritent d’être soutenus. Ils sont un chainon important des circuits courts.
L’affichage de la provenance dans la restauration hors foyer et pour les plats cuisinés devrait être obligatoire.
La question du bien-être animal - sa nourriture (démarche Bleu Blanc Cœur) et ses soins (antibiotiques ou pas) - est au cœur des valorisations. Élément positif, les boucheries de centre-ville sont de nouveau en croissance.
Porc : segmenter et contractualiser
L’interprofession est toujours dans un esprit de massification, alors que le marché est dans la création de valeur, à travers la segmentation. La culture des éleveurs est appelée à évoluer dans ce sens.
Comme pour la filière laitière, les éleveurs constatent qu’une nourriture animale (Bleu Blanc Cœur) de meilleure qualité permet notamment d’utiliser moins d’antibiotiques. Le problème de la valorisation de la démarche reste entier.
La filière est tiraillée entre sa compétitivité en France, où la demande évolue, et sur les marchés export. Le cours du cadran de Plérin est fortement influencé par la demande chinoise. Les pays concurrents (Danemark, Espagne...) ont des filières très intégrées, sans rupture de charges, et donc plus compétitives. La contractualisation permettra aux acteurs français d’être mieux armés pour concurrencer ces modèles intégrés.
Les transformateurs souhaitent se référer à l’indice FranceAgriMer avec la préférence française sur le marché des pièces et non pas de la carcasse. Cet indicateur aurait l’avantage d’être un bon compromis pour la contractualisation de premier niveau et la finalité des négociations.
Concernant les prix anormalement bas sur le porc frais (1,58 euros prix consommateur cette année), une clarification du système actuel des promotions s’impose.
Volaille : un modèle d’intégration
La filière de la volaille française se porte bien, car elle est intégrée par un processus contractuel (pas de rupture de charges). La réussite de ce modèle d’intégration à la française, dans lesquels tous les acteurs sont impliqués, peut inspirer d’autres filières. Il est à noter que la stratégie de marque - territoire a porté ses fruits (Volaille de Challans, Volaille de Loué, Volaille des Landes...).
Un paradoxe cependant : la filière, en se "premiumisant", a trop délaissé le segment du prix à des acteurs étrangers, notamment des producteurs ukrainiens, qui arrivent à bénéficier des labels EU en faisant transiter leurs poulets par les Pays-Bas et l’Allemagne. La filière doit d’urgence retrouver de la compétitivité prix pour des volailles "access", pour lesquels la part des importations s’élève encore à 50%.
La volaille a, semble-t-il, besoin d’un indicateur de performance pour que le balancier ne bascule pas dans l’autre sens, après le beau travail fait ces dernières années. Il convient de reconsidérer un marché standard plus massifiant (références de prix : un poulet import indice 1, standard français indice 2, poulet label 4 et bio 8).
Foie gras : interrogations sociétales
Le foie gras souffre de la fermeture des restaurants, de la sensibilité croissante au bien-être animal, en France comme à l’export, et de la modification du volet promotions de la loi Egalim, en partie corrigé par la loi ASAP. La sortie de crise sanitaire permettra sans doute de relancer la consommation, mais la filière doit absolument s’adapter à l’évolution sociétale sur la perception de la souffrance animale.
Lapin : prémiumisation
Après trois années de baisse annuelle de l’ordre de 10%, les volumes sur ce marché semblaient se stabiliser, mais l’année 2020 a de nouveau été marquée par une baisse des volumes. L’avenir de cette filière est dans la "premiumisation", rendue possible par un rallongement de la durée des contrats, qui permettront des investissements de modernisation. L’engagement de Système U avec Terrena pourrait servir d’exemple dans le domaine.
La filière a initié la mise en place de contrats bipartites - entre éleveurs et abattoirs - il y a deux ans, le coût de la nourriture animale représentant 55% du produit. La profession, qui n’inclut pas la distribution dans son interprofession, aimerait aller vers la reconnaissance de ses contrats en négociations finales.
Les éleveurs souhaitent davantage de traçabilité face à la concurrence étrangère. La filière souligne l’importance de la bonne interprétation de la promotion pour leur produit (achat d’impulsion pour une vente sur deux), constatant un recul de leur nombre depuis la mise en place d’Egalim.
Œufs : des mutations exemplaires
La filière a repris le leadership en Europe depuis 2018, année de l’adoption de son contrat de filière. Baptisé « Contrat sociétal d’avenir », il vise une évolution vers la qualité, à l’écoute de la demande des clients finaux, à travers l’abandon progressif des poules en cage au profit de méthodes dites alternatives (bio, sol, plein air, label rouge). La filière a atteint son objectif (une poule sur deux en élevage alternatif) pour 2022 dès l’an dernier.
La filière est toutefois actuellement confrontée à une forte augmentation des cours des céréales, servant de nourriture pour les poules, qu’elle a du mal à répercuter dans ses tarifs. La filière est à 100% origine France : elle est à l’équilibre et même exportatrice (125%).
La filière a un indicateur Itavi qui fait référence et est utilisé par l’ensemble des acteurs. L’interprofession a même un indicateur bio depuis début 2021 par l’ensemble des parties prenantes, réunies en interprofession.
Une des particularités de cette filière : le nombre d’éleveurs augmente (2500).
Fruits : priorité à l’origine France
L’interprofession est déterminée à reprendre des parts de marché pour les produits pour lesquels le taux de couverture est bien inférieur à celui d’autres produits agricoles, notamment en raison du coût de la main d’œuvre saisonnière, tels que les fruits rouges, les poires et les raisins.
La filière est prête à poursuivre la segmentation et estime que l’avenir est au marketing terroir (fraise gariguette, raisin chasselas, clémentine corse, etc.).
Les acteurs des fruits industriels (Andros, Materne et Charles & Alice) partagent la volonté d’aller vers 100% de pomme française, ce qui a déjà permis d’augmenter les prix payés. Les producteurs ont des contrats pluriannuels avec les transformateurs indiquant des volumes et des prix et également des engagements RSE.
Les producteurs de pommes membres de l’Afidem ont développé depuis les EGA des partenariats avec les distributeurs pour les pommes de table, incluant des engagements de maintien et de développement des vergers français l’environnement. Les producteurs aimeraient étendre ces partenariats aux produits transformés à base des pommes et à la compote en particulier. La filière est un symbole des effets vertueux de réconciliation entre producteurs et transformateurs, via les interprofessions, grâce à la priorité donnée à l’Origine France.
Légumes : cahier des charges RSE
Le contrat premium créé par Bonduelle en 2020 et reconduit en 2021 est inspirant. Ce contrat ressemble à une forme d’intégration : la mécanique de prix intègre une clause de revoyure, qui ne fait pas référence aux indicateurs de coûts de production, mais à un cahier des charges RSE spécifique. La hausse des prix est motivée par ces mêmes engagements et la véracité est vérifiée par un acteur indépendant.
Même s’il est récent, il est d’ores et déjà démontré que ce contrat permet de mieux partager la valeur tout en maitrisant la hausse du prix pour le consommateur : l’évolution n’excède pour le moment pas 5 centimes à la portion individuelle pour une évolution positive de 5% de la matière première.