La filière fruits sans trop d’illusion sur le « Varenne » de l’eau et du climat

Un mois après la survenue du gel, la filière procède toujours à un état des lieux. Si elle adresse un satisfecit aux pouvoirs publics dans sa gestion de la crise, elle est beaucoup plus circonspecte quant au « Varenne sur l’eau et le climat ». Lassée des paroles, elle attend des actes sur la création d’infrastructures de transfert et de stockage d'eau, l’eau étant un dénominateur commun à l’appréhension du gel et de la sécheresse en production fruitière.

« Quatre semaines après la survenue du gel, on est toujours sous le choc », déclare Françoise Roch, présidente de la Fédération nationale des fruits et productrice de pommes, de prunes et de raisin de table dans le Tarn-et-Garonne. Toutes les régions productrices de fruits et toutes les espèces sont touchées. Certains arboriculteurs ont été confrontés à 18 à 20 nuits de gel et se sont battus pied à pied pour tenter de sauver quelque chose ».

Le gel 2021 est inédit par son ampleur, son intensité et sa durée. « Dans la nuit du 3 au 4 mai, j’ai encore perdu 5 ha de vigne », indique Daniel Sauvaitre, président de l’Association nationale pomme poire, vigneron et arboriculteur en Charente. A l’occasion des mardis du medFEL, les responsables professionnels de la filière fruits ont esquissé un premier bilan des dégâts causés par la vague de gel, dont les répliques tardent à s’estomper. Un exercice des plus délicats et encore prématuré, on l’aura compris, les chutes physiologiques et les impacts qualitatifs étant loin d’être circonscrits.

Entre -30% et -50% selon les espèces

En abricot, la filière annonce une production une chute de 43% par rapport à 2020 et de 64% par rapport à la moyenne des cinq dernières campagnes. La production de raisin de table baisserait de 25% à 30%. « Celle de prunes devrait baisser de 40% à 50%, indique Joël Boyer, président de l’AOP Prune. Ce 4 mai, il a encore gelé dans certains vergers de mirabelliers en Lorraine » . « Dans la vallée, du Rhône, la production de cerises devrait baisser de 30%, annonce Bruno Darnaud, président de l’AOP Pêches et abricots de France. Pour les pêches et nectarines, le diagnostic est encore prématuré ». « Les fruits à coques, que sont les noix, noisettes et châtaignes ne sont pas épargnés », précise Françoise Roch.

En ce qui concerne les pommes, les premières estimations font état d’une perte de production de 30%. « On y verra plus clair fin juin, déclare Daniel Sauvaitre. La première floraison a été largement détruite dans de nombreux vergers mais elle s’est poursuivie. On s’interroge sur la capacité de grossissement des fruits. Il va falloir négocier un éclaircissage tout en délicatesse. Le taux de fruits écartés devrait être important ». La filière pomme espère approvisionner les étals et les transformateurs.

Les pouvoirs publics à la manœuvre

A la sortie d’un conseil extraordinaire de FranceAgriMer, Patrick Trillon, président du Conseil spécialisé Fruit témoignait du fait que « les autorités ont pris pleinement conscience de l’ampleur des enjeux financiers. La priorité pour les producteurs de fruits, c’est de mettre sur la table les constats des dégâts avec le maximum de précision et d’exhaustivité ». Sur le terrain, les enquêtes et expertises ont démarré, en commençant par les producteurs ayant tout perdu. Reste à savoir sur quelles bases seront arbitrées les indemnisations et la répartition du fonds exceptionnel d’un milliard d’euros, annoncé par le Premier ministre le 17 avril.

"Les stations de conditionnement vont voir leurs frais fixes augmenter, les producteurs ne doivent pas subir la double peine "

« Les stations de conditionnement et les expéditeurs doivent impérativement être intégrés dans les dispositifs d’aide, prévient Françoise Roch. Nous avons la chance d’avoir des filières bien structurées et il ne faudrait pas que le gel fragilise nos organisations. Les stations de conditionnement vont voir leurs frais fixes augmenter. Les producteurs ne doivent pas subir la double peine ».

Certaines Régions ont d’ores-et-déjà annoncé leur soutien, telles l’Occitanie à hauteur de 5 millions d’euros et Auvergne Rhône-Alpes à hauteur de 15 millions d’euros. Bruno Darnaud suggère de flécher les aides des collectivités vers les stations et expéditeurs et de réserver les aides gouvernementales aux producteurs, « ce qui clarifierait l’articulation entre les différents dispositifs tout en déjouant l’écueil des plafonds des minimis auxquels certains arboriculteurs pourraient être confrontés ». « Les pouvoirs publics sont pleinement conscients de la problématique », assure Patrick Trillon.

De son côté, Bruno Darnaud demande à ce que les 600 arboriculteurs assurés en multirisque climatique puissent bénéficier de fonds de solidarité nationale. « Il suffit de signer un décret », plaide-t-il.

Une fenêtre de tir avec le « Varenne »

Si l’urgence mobilise toute la profession, celle-ci se projette déjà dans le coup d’après, fort de l’enseignement suivant : « La couverture par aspersion, bien maîtrisée, est la seule technique qui s’est avérée totalement efficace contre le gel, déclare Daniel Sauvaitre. Il faut absolument créer des réserves pour nous protéger du gel sans entamer nos capacités d’irrigation pour déjouer ensuite les sécheresse. On ne peut pas continuer à pleurer lors des inondations et à pleurer lors des sécheresses ». 

"il faut arrêter de se creuser la tête pour savoir s’il existe une salamandre au fond d’un ruisseau "

Le lac de Pandore était ouvert.

Joël Boyer : « il faut arrêter de se creuser la tête pour savoir s’il existe une salamandre au fond d’un ruisseau ».

Françoise Roch : « cet hiver, des torrents d’eau sont passés sous nos yeux. Notre filière s’amoindrit d’année en année, nous n’avons plus le temps d’attendre ».

Patrick Trillon : « l’évaporation des réserves ne représente en rien du gaspillage puisqu’elle alimente la pluviométrie et les orages. A quand le courage politique et le soutien aux acteurs qui créent de la valeur ? »

Daniel Sauvaitre : « l’irrigation fait baisser la température dans les ilots de chaleurs que sont les villes et agglomérations ».

Bruno Darnaud : « sur les assurances, sur les calamités, sur la gestion de l’eau, depuis 15 ans, on accumule les rapports et les promesses. Aujourd’hui, on attend des actes ». 

Julien Denormandie s’inscrira-t-il en rupture avec ses prédécesseurs ? Une partie de la réponse proviendra peut-être du « Varenne » de l’eau et de l’adaptation au changement climatique que le ministre de l'Agriculture va convoquer dans les mois à venir. « Il y a une fenêtre de tir pour esquisser une France totalement verte, donc totalement écologiste, avec la création d’infrastructures de transfert et de stockage d’eau », veut croire Daniel Sauvaitre.