Indemnisations : après le choc du gel, l’épreuve du brouillard

Trois semaines après l’épisode de gel, les modalités d’indemnisation restent encore floues, s’agissant notamment du régime des calamités appliqué exceptionnellement à la vigne ou du cumul des indemnités des assurances et des calamités. Les risques de dépassement du seuil des minimis interpellent aussi les professionnels.

Alors que le ministère de l’Agriculture a annoncé le versement des premières aides d’urgence à compter du mois de mai, les professionnels demeurent dans l’expectative sur plusieurs points. Rien n’a encore filtré en ce qui concerne les dispositifs exceptionnels de calamités s’appliquant aux grandes cultures et à la vigne, annoncés par le Premier ministre le 17 avril dernier.

Pour mémoire, le régime de calamités agricoles s’applique lorsque les pertes de production atteignent un taux de perte physique supérieur à 30% (ou 42% s'il s'agit de cultures bénéficiant d'aides Pac) et représentent plus de 13% de la valeur du produit brut de l'exploitation. Les niveaux d’indemnité, compris entre 12% et 35% selon les cultures bénéficiaires, sont basés sur des barèmes départementaux en termes de rendements et de prix.

Quels barèmes pour les calamités en vigne ?

Établir de tels barèmes ne sera pas une sinécure en vigne, les produits bruts viticoles étant susceptibles de varier considérablement d’une exploitation à l’autre selon la valorisation finale du vin. Cette particularité constitue du reste une des faiblesses de l’assurance récolte, qui fixe à 7.500 €/ha la plafond de garantie, jugé trop faible pour certaines caves particulières.

Mais ce travail exploratoire pourrait servir une éventuelle réforme du régime des systèmes assurantiels, prônée par le récent rapport du député Frédéric Descrozaille et qui préconise notamment la mise en œuvre d’un régime de calamités universel, s’appliquant à toutes les cultures, au-delà de 50% de perte de récolte. « En viticulture, nous avons un peu de temps devant nous, relativise Philippe Vergnes, viticulteur et président de la Chambre d’agriculture de l’Aude. Aujourd’hui, nous vivons sur la récolte 2020 et les conséquences du gel se feront sentir pour l’essentiel à partir de 2022, en dehors des exploitations qui ont investi en dernière minute dans des bougies ».

Aucun producteur laissé de côté

Les mesures d’urgence décrétées par le gouvernement (année blanche de cotisations, dégrèvements de taxes foncières sur le non bâti, mobilisation des dispositifs Covid-19 en matière d’activité partielle et de PGE) doivent contribuer à soulager les exploitations impactées, en attendant les indemnités des calamités qui ne seront versées qu’à l’issue d’un long processus administratif post-récolte.

"J’invite tous les producteurs en difficulté à se manifester, même s’il n’est jamais facile de demander à l’aide"

Les Préfets disposeront très prochainement de fonds destinés à verser des avances aux entreprises les plus en difficulté. « Dans l’Aude, avec l’appui de la Chambre d’agriculture et de la MSA, le Conseil départemental a mis en place des permanences spéciales, indique Philippe Vergnes. Mais j’invite tous les producteurs en difficulté à se manifester, même s’il n’est jamais facile de demander à l’aide. Les dossiers seront traités en toute confidentialité et en toute équité ». Dans l’Aude, toutes les communes viticoles sans exception ont été touchées par le gel. Les deux secteurs arboricoles sont également impactés. Le recensement des dégâts se poursuit.

"Nous demandons à ce que les arboriculteurs assurés bénéficient du régime des calamités"

Dans la Drôme, les arboriculteurs formulent plusieurs requêtes à l’encontre des pouvoirs publics, à commencer par l’articulation entre assurances et calamités. « Dans notre département, on recense environ 70 producteurs assurés en multirisques climatiques sur un total de 1400, dont 900 spécialisés, indique Bruno Darnaud, président de l’AOP Pêches et abricots de France. Du fait de la faiblesse des moyennes olympiques, ces producteurs assurés auront des indemnisations inférieures à celles des calamités. En conséquence, nous demandons à ce que les arboriculteurs assurés bénéficient du régime des calamités. Il suffit pour cela de modifier par décret un article du Code rural. Cette disposition enverrait un signal assez fort à l’heure où l’on parle d’une nouvelle articulation entre les deux dispositifs ».

Pour Philippe Vergnes, le cumul des assurances et des calamités ne fait pas de doute. « Ce serait injuste vis-à-vis des assurés, explique-t-il. L’Aude est le premier département en nombre d’assurés. Le taux de couverture atteint 40% en viticulture ».

Relever les minimis

Des Régions et Départements ont décidé d’apporter un soutien financier aux exploitations impactées. Mais ces aides pourraient buter sur la règle des minimis, le règlement européen limitant à 20.000 € sur trois ans le cumul de certaines aides d’Etat et de collectivités. « Avec les aléas climatiques à répétition, des producteurs pourraient ne pas être éligibles aux aides des collectivités, s’agace Bruno Arnaud. L’Europe offre la possibilité de porter le plafond des minimis à 30.000 €, moyennant la mise en place d’un registre dédié. Le moment est peut-être venu ». Le président de l’AOP Pêches et abricots de France s’inquiète par ailleurs du sort des expéditeurs, aux prises avec une chute de la production, et toujours dans l’expectative quant aux mesures de soutien.