Les agriculteurs européens, dindons de la force poutinienne ?

[Edito] Alors que l’UE voit transiter, mais pas seulement transiter, bateaux et camions chargés de produits agricoles ukrainiens, les organisations agricoles, françaises et européennes, ont le sentiment de co-financer l’effort de guerre de l’Ukraine, et potentiellement sa future adhésion à l’UE.

Depuis juin 2022 et la suspension temporaire des droits de douane et des quotas sur les importations de produits agricoles ukrainiens, les importations de sucre en provenance d’Ukraine vers l’UE n’ont pas cessé de croître pour atteindre, en cumulé, les 700.000 tonnes, selon la Confédération internationale des betteraviers européens (CIBE). Un chiffre à comparer aux 20.000 tonnes du quota d’importation annuel prévalant avant le déclenchement de la guerre en février 2022.

En ce qui concerne le poulet, l’Anvol (interprofession des volailles de chair) indique que les volumes de viande arrivant directement d’Ukraine ont augmenté de 75% au cours du premier semestre 2023 et de 137% au niveau de l’UE sur les quatre premiers mois de l’année 2023. Du côté du CNPO (interprofession des œufs), on s’inquiète de l’ouverture, par le plus important producteur d’œufs ukrainiens, de plusieurs bureaux de vente en France. Enfin pour ce qui est des céréales, depuis la dénonciation par la Russie du corridor céréalier en mer Noire en juillet dernier, les producteurs de Roumanie et de Bulgarie, entres autres, voient transiter bateaux et camions... et pas seulement transiter.

Entre ligne de front et ligne de crête

C’est peu dire que la guerre en Ukraine a généré une insécurité alimentaire aux répercussions mondiales, de par ses impacts sur les marchés de l’énergie (donc des engrais) et des produits agricoles. Mais les mois passant, les agriculteurs européens ont le sentiment d’être, juste derrière la population ukrainienne exposée aux affres de la guerre, les dindons de la force poutinienne. Le 10 janvier dernier, différentes organisations agricoles européennes ont fait part de leurs doléances au commissaire européen à l’Agriculture. Mais les réponses et les réactions de la Commission européenne se font attendre.

Les autorités françaises ont bien reçu le message. Lors de ses vœux au monde agricole le 15 janvier, le ministre de l’Agriculture a déclaré être « très vigilant sur un certain nombre de désorganisations de marché », évoquant notamment le poulet et les céréales en provenance d’Ukraine. « Il ne faut pas que la solidarité conduise à une déstructuration complète d’un certain nombre de filières » a déclaré Marc Fesneau, affirmant vouloir manier « solidarité » et « lucidité ».

« L’adhésion de l’Ukraine, c’est 100 milliards d’euros. Quelles sont les règles ? Qui paie ? »

A quelques mois des élections au Parlement européen, alors que les manifestations d’agriculteurs germent ici ou , l’UE serait bien inspirée de formaliser des réponses au monde agricole, sachant que le 14 décembre dernier, elle a donné des gages aux Ukrainiens, en décrétant l’ouverture des négociations en vue d’une future adhésion. Une perspective qui n’est pas de nature à rassurer les agriculteurs du vieux continent. « L’Ukraine, c’est le quart de la production agricole européenne », a rappelé Arnaud Rousseau, la président de la FNSEA, lors de ses vœux à la presse le 10 janvier dernier.

La FNSEA et autres organisations agricoles craignent que l’agriculture, bon soldat des accords des libre-échange au plan international et des négociations commerciales au plan national, fasse à nouveau office de monnaie d’échange. « Ancrer les Ukrainiens en Europe a probablement du sens », a formulé Arnaud Rousseau, tout en pointant la nécessité de « calibrer » et « d’étalonner » dans le temps un tel projet, et non sans occulter la question des règles, des normes et de l'éthique. « Il n’y a pas d’hostilité, il y a juste des questions de bon sens, a-t-il poursuivi. L’intégration de l’Ukraine, sur le strict plan agricole, c’est de l’ordre de 100 milliards d’euros. Les questions sont : quelles sont les règles ? Qui paie ? »