Exportations ukrainiennes : la solidarité européenne à l’épreuve du marché

[Edito] Un an et demi après le début de la guerre en Ukraine, la solidarité européenne commence à se fissurer sur fond de tensions autour des exportations du pays qui viennent déstabiliser certains marchés agricoles.

Retour sur l’historique. Mai 2022 : suite au blocus des ports ukrainiens par la Russie, la Commission européenne annonce la mise en place de « corridors de solidarité » entre les pays de l’UE et l’Ukraine, afin de développer des itinéraires terrestres d’exportation des produits agricoles. Les droits de douane et les quotas sont levés. Les Etats-membres frontaliers sont notamment incités à fournir du matériel de fret, simplifier les contrôles et opérations douanières et permettre le stockage de marchandises sur leur sol.

Plus d’un an après, l’UE se félicite que 38 millions de tonnes de produits agricoles ont pu être exportés d’Ukraine grâce à ces corridors de solidarité. Mais la grogne monte dans les pays limitrophes (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne et Slovaquie), alors qu’une partie des millions de tonnes de céréales et d’oléagineux est restée immobilisée sur leur sol, saturant les silos et provoquant une chute des prix locaux.

Tensions sur les filières agricoles

Mi-avril 2023 : plusieurs de ces pays décident unilatéralement d’interdire les importations ukrainiennes, au grand dam de la Commission européenne, qui a tout de même fini par approuver formellement ces restrictions, à titre temporaire. Mais l'accord a expiré le 15 septembre et la Commission a décidé de ne pas le renouveler, évoquant « la disparition des distorsions » et l'amélioration des conditions d'acheminement.

Mais la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie ne le voient pas de cet œil et, au nom de la protection de leurs agriculteurs, décident de maintenir leur embargo. La tension monte alors d’un cran, l’Ukraine portant plainte contre ces trois pays devant l’OMC, et la Pologne menaçant de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine.

Il n’y a pas que dans les pays frontaliers de l’Ukraine que la solidarité se heurte au marché agricole. En France, le bond des importations de poulet ukrainiens inquiète l’interprofession de la volaille de chair, qui a réclamé l’activation d’une clause de sauvegarde. Une voie vers laquelle ne semble pas vouloir s’engager le gouvernement français, pour qui l’activation d’une telle mesure pourrait « envoyer des signaux hostiles à l’Ukraine ». Entre solidarité et protectionnisme, les pays européens tanguent. L’Union a du pain sur la planche.