La France reste opposée aux accords avec le Mercosur

Le Brésil et ses 4 millions de petits producteurs sont prêts à investir l’UE notamment avec des aloyaux à bas prix.

Conjoncture – Cette fin d’année est comme annoncé très mouvementée sur le front des négociations avec le Mercosur (premier exportateur mondial). La concomitance de présidence de l’Espagne pour l’UE et de Lula pour le Mercosur, pousse de toute leur force pour une signature avant la fin de l’année, où ces dirigeants passeront la main. La France reste très hostile à cet accord sous la pression des syndicats agricoles. L’incertitude règne sur ces accords, et des rebondissements sont encore possibles dans une UE très divisée à ce sujet.

Les impacts d’un tel accord seraient catastrophiques pour une filière de l’élevage déjà mal en point. Lors du dernier Grand Angle Viande organisé par l’Institut de l’élevage, Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Idele, nous apprend qu’en 2023, les importations européennes depuis les pays tiers ont sérieusement progressé (+3% pour les États-Unis et le Canada, 7% pour l’Argentine et 15% pour le Brésil). Ces importations se font à droit de douane plein sans accord bilatéral UE-Mercosur soit 12,8% de la valeur du produit en droit de douane, ainsi qu’une taxe de l’ordre de 3 €/kg pour la viande importée hors contingent commercial. Malgré ces taxes, les importations restent compétitives tant la production est bon marché. Ces chiffres exprimés en pourcentage paraissent importants, mais la viande issue des pays tiers ne représente que 0,4% de la consommation française. Nos importations se font essentiellement via les autres pays de l’UE (Irlande, Pays-Bas…). Malgré tout cela démontre la puissance que représente le Brésil, qui, avec ses 4 millions de petits producteurs, est prêt à investir l’UE notamment avec des aloyaux à bas prix.   

Or, la France comme les autres pays de l’UE (hors Irlande et Espagne) connaissent une forte décapitalisation qui semble très difficile à enrayer dans les conditions actuelles. Selon certains scénarios présentés lors du dernier sommet de l’élevage, la ferme France pourrait passer de 7 à 5 millions de têtes de bovins d’ici 2035. Avec des portes grandes ouvertes à l’import.

L’élevage est un métier de passion où les hommes et les femmes ne comptent souvent pas leurs heures, les jeunes générations qui sont de plus en plus issues du milieu non agricole sont en revanche plus sensibles à la gestion du temps libre notamment quand les conjoints travaillent hors de l’exploitation. Cela n’entame aucunement leur motivation, mais cela accentue les modèles de décloisonnement en entraide ou en salariat.

Mais ce beau métier n’attire pas assez les jeunes générations, avec une image dégradée en termes de revenu notamment dans le milieu de l’élevage. L’agriculture de demain aura besoin de bras et de chef d’exploitation performant et de moyen financier, car aujourd’hui, une ferme c’est une entreprise à part entière où l’éleveur doit être technicien, respectueux des contraintes environnementales ou sociétales de plus en plus nombreuses, mais également un homme ou une femme d’affaires qui doit valoriser ses produits et gérer ses achats, sans oublier la gestion des nombreuses tâches administratives ou comptables… C’est un très beau métier qui flatte souvent les papilles de consommateurs exigeants, mais qui doit en retour permettre de vivre décemment et durablement. Le chantier du renouvellement des générations est complexe, mais il ne touche pas uniquement la partie production.

Les transformateurs observent également un désintérêt du travail en abattoir ou en unité de transformation avec des métiers durs, même si les conditions de travail ont considérablement été améliorées. Le renouvellement des générations dans la boucherie traditionnelle est inquiétant, car sans vrai professionnel pour travailler et vendre notre belle production, à quoi cela sert de la produire ?

L’érosion de la production de viande est catastrophique et met en péril toute une filière. La France a les moyens de puiser dans ses stocks avant d’en arriver à une pénurie, mais ce sera au prix d’une réduction de nos exportations, ce qui n’est pas une chose facile quand la demande est soutenue et qu’une grande partie des éleveurs allaitants du centre du pays ont axé leur développement vers les marchés exports. La France a besoin principalement de viande basique pour la production de viande hachée, le tout dans un équilibre tarifaire au niveau de l’UE très instable. Depuis quelques semaines le prix des réformes laitières qui avait sérieusement progressé a été fortement corrigé pour se rapprocher de nos voisins du nord de l’Europe. Le but est de limiter l’érosion de la consommation observée face à la flambée des prix, mais également de redonner une bouffée d’air aux industriels accablés par la hausse des charges. Ce mouvement de décroissance tarifaire ne touche pas trop les races à viande, avec une offre qui reste mesurée et en accord avec la demande, même si cette dernière est amoindrie comme beaucoup de produit par le recul du pouvoir d’achat des ménages.