Les AOC volailles de Bresse en fin de parcours ?

Les nouveaux arrêtés anti grippe aviaire sont incompatibles avec le cahier des charges des volailles de Bresse. La race ne supporte pas la claustration et l’alimentation est volontairement carencée en protéine pour valoriser les parcours. Le CIVB redoute la fin de l’unique AOC volaille, datant de 1957.

Le Comité interprofessionnel est vent debout contre les arrêtés régissant la prévention et la lutte contre l’influenza aviaire. Publiés le 29 septembre dernier, ils mettent fin aux dérogations qui permettaient de préserver, sous conditions, les parcours en période à risque. Désormais, en situation de risque modéré, comme c’est le cas depuis le 10 septembre, les volailles doivent être claustrées dans les Zones à risque particulier (ZRP) et les palmipèdes dans les Zones à risque de diffusion (ZRD). Et en situation de risque élevé, c’est tout le monde aux abris.

"On est parti pour claustrer les animaux neuf mois sur douze. C’est tout simplement hors de question"

« Dans le rectangle de 60 kilomètres sur 40 kilomètres que constitue la zone AOC de la volaille de Bresse, 58% des 160 producteurs sont situés en ZRD, déclare Jean-Michel Sibelle, vice-président du Comité interprofessionnel de la volaille de Bresse (CIVB). On est donc parti pour claustrer les animaux neuf mois sur douze. C’est tout simplement hors de question ».

Un vent de désobéissance flotte à la croisée de l’Ain, de la Saône-et-Loire et du Jura. Il n’est pas complètement nouveau. L’an passé, le CIVB s’était opposé à la claustration des volailles imposées sur tout le territoire suite à l’épizootie de grippe aviaire dans le Sud-Ouest. Les Bressans ont le sentiment d’être les dindons d’une (mauvaise) farce jouée par les canards gras du Sud-Ouest. « Un, on élève des poulets et des dindes et pas des canards. Deux : on n’est pas du tout sur les mêmes niveaux de densité que dans le Sud-Ouest. Trois : les poussins arrivent dans nos élevages à un jour en provenance d’un unique accouvoir et quittent nos élevages pour être abattus », argumente Jean-Michel Sibelle.

"En 2020, c’est la DGAL qui a imposé à l’INAO la modification de notre cahier des charges. Ils ont changé un mot. Nous n’avons rien changé à nos pratiques"

Le CIVB ne veut pas entendre parler des aménagements offerts par le ministère de l’Agriculture au niveau des cahiers des charges des productions de plein air. « On les a refusés l’an passé et c’est la DGAL qui a imposé à l’INAO la modification de notre cahier des charges. Ils ont changé un mot. Nous n’avons rien changé à nos pratiques. En 2006, on a claustré nos volailles pendant six semaines au mois de février-mars et c’est là que l’on a réalisé que notre race, la Gauloise de Bresse blanche, ne supportait pas la claustration, induisant agressivité et cannibalisme. Au nom du bien-être animal, c’est impossible ».

Entre le marteau et l’enclume

Conscient de la menace que fait peser la grippe aviaire, le CIVB avait formulé plusieurs propositions : sortie des poussins à huit semaines au lieu de cinq, réduction de l’amplitude horaire des parcours, mise en place de parcours tournants ou encore l’expérimentation de la vaccination au sein de l’accouvoir. Les autorités ont fait la sourde oreille. « Je les comprends car en cas d’accident, elles auraient dû endosser la responsabilité, souligne Jean-Michel Sibelle.  Aujourd’hui c’est nous éleveurs qui sommes entre le marteau et l’enclume, avec le choix entre deux mauvaises solutions : ne pas respecter le législateur ou ne pas respecter le consommateur. Le CIVB s’inquiète de la perte d’attractivité de la filière auprès des jeunes. C’est comme conduire dans le brouillard avec cinq mètres de visibilité ».

"On ne va pas se tirer une balle dans le pied en trompant les consommateurs. C’est comme si vous commandiez une Ferrari et qu’on vous livrait une deux chevaux"

Au niveau des Organismes de défense et de gestion (ODG) régissant la production de volailles de plein air, le CIVB avoue au passage se sentir un peu seul dans sa fronde contre les arrêtés. Mais toute son attention se concentre sur le consommateur et sur la promesse induite par l’AOC. « L’alimentation de nos volailles est volontairement carencée en protéines de façon à ce qu’elles aillent chercher sur le parcours ce dont elles ont besoin, explique Jean-Michel Sibelle. C’est l’un des fondements de notre AOC depuis 1957. On ne va pas se tirer une balle dans le pied en trompant les consommateurs. C’est comme si vous commandiez une Ferrari et qu’on vous livrait une deux chevaux », poursuivant dans la métaphore automobile.

En 2019, l’éleveur a remporté la Glorieuse de Bresse, illustre concours qui vaut au lauréat un vase de Sèvres offert par l’Élysée. Jean-Michel Sibelle ne voit pas le prochain lauréat envoyer en retour à l’Élysée, comme c’est la tradition, un chapon claustré. Castré, oui, mais claustré, non.