Grippe aviaire : « Je ne vendrai pas du plein air claustré »

Pour Sylvie Colas, en charge de la grippe aviaire à la Confédération paysanne, les nouveaux arrêtés qui redéfinissent les conditions de prévention et de lutte contre la maladie vont porter atteinte aux petits élevages, sans atténuer les risques d’épidémie, tout en trompant les consommateurs.

Plein air claustré ou PAC en abrégé : si l’acronyme n’était pas déjà celui de la Politique agricole commune, il aurait pu rejoindre le cortège des signes officiels de l’origine et de la qualité que sont l’AB, les AOP, AOC IGP, STG et autres Labels rouges. Car à en croire la Confédération paysanne, le nouveau règlement sanitaire entourant la production d’œufs, de volailles et de palmipèdes va faire voler en éclat des dizaines de cahiers des charges intégrant le plein air.

« Les nouveaux arrêtés mettent fin à une dérogation qui permettaient aux petits élevages d’éviter de confiner leurs animaux, en échange de quoi on va multiplier les dérogations sur de très nombreux cahiers des charges de volailles fermières et de plein air, comme ce fut le cas en 2020, dénonce Sylvie Colas, éleveuse de volailles dans le Gers, en charge du dossier grippe aviaire à la Confédération paysanne. En ce qui me concerne, je ne vendrai pas du plein air claustré ».

Sylvie Colas : « Les nouveaux arrêtés mettent fin à une dérogation qui permettaient aux petits élevages d’éviter de confiner leurs animaux, en échange de quoi on va multiplier les dérogations sur de très nombreux cahiers des charges de volailles fermières et de plein air » (Crédit photo : Confédération paysanne)
Sylvie Colas : « Les nouveaux arrêtés mettent fin à une dérogation qui permettaient aux petits élevages d’éviter de confiner leurs animaux, en échange de quoi on va multiplier les dérogations sur de très nombreux cahiers des charges de volailles fermières et de plein air » (Crédit photo : Confédération paysanne)

ZRP, ZRD et niveaux de risques

Deux arrêtés du 29 septembre 2021 redéfinissent les conditions de prévention et de lutte contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), en fonction de multiples composantes (niveau de risque, zones géographiques, espèces, types et modes d’élevage). La nouvelle législation impose la mise à l’abri des volailles (poules, pintades, dindes) et des palmipèdes partout sur le territoire dès lors que le risque de grippe aviaire est considéré comme élevé.

En situation de risque modéré, ce qui est le cas depuis le 10 septembre, la mise à l’abri s’impose pour les volailles situées en Zone à risque particulier (ZRP), soit 5319 communes correspondant à des zones humides ou des couloirs de migrations de l’avifaune et pour les palmipèdes situés en Zone à risque de diffusion (ZRD), soit 538 communes réparties sur neuf départements (32, 40, 44, 47, 49, 64, 65, 79, 85).

En situation de risque modéré, la mise à l’abri s’impose pour les volailles situées en Zone à risque particulier (ZRP) et pour les palmipèdes situés en Zone à risque de diffusion (ZRD) (Source : Ministère de l’Agriculture)
En situation de risque modéré, la mise à l’abri s’impose pour les volailles situées en Zone à risque particulier (ZRP) et pour les palmipèdes situés en Zone à risque de diffusion (ZRD) (Source : Ministère de l’Agriculture)

Dans ces deux situations, la règle générale consiste à claustrer les animaux dans des bâtiments fermés mais la législation prévoit des aménagements ciblant les petits élevages. Pour les volailles de chair par exemple, en présence de bâtiments de moins de 120 m2 ou en circuit court autarcique, elles peuvent bénéficier de parcours réduits de 500 m2 maximum pour 1000 volailles à partir de la 10ème semaine d’âge.

"La nouvelle législation réserve à chaque volaille un parcours équivalant à deux feuilles A4 pendant deux semaines"

« Cela revient à réserver à chaque volaille un parcours équivalent à deux feuilles A4 pendant deux semaines puisque le label plein air impose 12 semaines minimum d’élevage, explique Sylvie Colas. Mais dans le cas d’un éleveur de poulet de Bresse en bâtiment de 400 m2, c’est claustration à 100% en situation de risque modéré en ZRP et en cas de risque élevé, 100% claustré sur toute la zone de production ».

S’agissant des palmipèdes à foie gras (PFG) élevés en circuit court autarcique, un parcours « réduit » (déterminé selon une analyse de risques) et sous filet est possible pour les élevages disposant d’un bâtiment de 60 à 120 m2. « Le filet, c’est l’équivalent d’une volière de 3 m2 pour les particuliers, c’est ridicule, et tous les éleveurs ne disposent pas de bâtiment. Pour moi qui fait aussi du melon de plein champ, le claustré équivaut à passer au melon sous serre en hors-sol. Le claustré, c’est de l’industriel, on passe sur une autre race, sur 37 jours d’élevage, sur du blanc poulet et le reste jeté à la poubelle, on n’est plus sur la même qualité, on n’est plus sur le même marché ».

En attendant l’instruction technique

La Confédération paysanne s’inquiète aussi pour les ateliers de poules pondeuse. « Si vous enfermez les pondeuses en cours de cycle, c’est 50% de chute de ponte, prédit Sylvie Colas. Mais on est encore un peu dans le flou sur la poule pondeuse ». La Confédération espère y voir plus clair avec l’instruction technique à venir. Mais elle s’inquiète du coup porté au plein air et aux petits élevages et des égards réservés à la filière industrielle, notamment les palmipèdes à foie gras. « Sur les 500 foyers de 2020, trois ou quatre provenaient de la faune sauvage et tous les autres étaient le fait de la diffusion induite par les activités professionnelles, affirme l’éleveuse. Si la claustration est la solution à la grippe aviaire, pourquoi les Pays-Bas et leur modèle d’élevages claustrés font-ils les frais chaque année de la maladie » ?

Le 14 octobre dernier, la Conf’ organisait à Paris la vente symbolique des « 10.000 derniers œufs de plein air » (Crédit photo : Confédération paysanne)
Le 14 octobre dernier, la Conf’ organisait à Paris la vente symbolique des « 10.000 derniers œufs de plein air » (Crédit photo : Confédération paysanne)

La Conf’ craint de voir disparaitre 30% des éleveurs de plein par l’abandon de la production et le non renouvellement des générations. L’audit de biosécurité, qui s’imposera à compter de juillet 2021, pourrait aussi opérer un nouveau tri par le vide. « Le plein air ne pèse que 10% du marché de la volaille mais c’est à croire que c’est encore trop pour la filière », déclare Sylvie Colas.

Après l’opération de vente des « 10.000 derniers œufs de plein air » organisée le 14 octobre à Paris, « la mobilisation va se poursuivre sur les fermes et les marchés de France, affirme Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. Les éleveuses et les éleveurs ne se laisseront pas abattre ».

Accord interprofessionnel

La Confédération paysanne avait pourtant signé la feuille de route en juillet dernier bordant le futur cadre législatif mais elle affirme que les réserves qu’elles avait émises n’ont pas été prises en compte. A l’inverse, elle estime que les arrêtés du 29 septembre ne s’attaquent pas au triptyque mortifère de la filière gras, à savoir : surdensité, segmentation et mouvements d’animaux. Le Cifog se défend au contraire d’avoir signé un accord interprofessionnel instaurant de nouvelles contraintes en termes de vide sanitaire et d’effectifs.

Au-delà de la filière gras, la grippe aviaire fait peser une menace pour l’ensemble des filières avicoles, notamment à l’export où l’activité est suspendue au statut de la France vis-à-vis de la maladie. Le 2 septembre dernier, la France a recouvré son statut de pays indemne d’influenza aviaire.

La filière gras, au poids économique certes important (4.800 exploitations à dominante palmipèdes gras) mais relatif (16.500 tonnes de foie gras contre 1,7 million tec de volaille de chair exportée à hauteur de 32% et 15 milliards d'oeufs) ne veut pas passer pour le vilain petit canard.