Les jardineries, de la graine d’agriculteurs en puissance

Les Français sont massivement et toujours plus engagés dans l’autoproduction, dont ils tirent des paniers garnis de petits bonheurs à petits prix. Et s’il y avait, aussi, dans cette France qui préfère les jardineries aux supermarchés, de la graine d’agriculteurs, qui fait tant défaut à la profession ?

[Edito] Le bonheur est au potager, au verger, au poulailler et au rucher : c'est l'un des enseignements d'une étude commanditée par l’enseigne Gamm vert auprès de 4000 autoproducteurs. Si l’on en croit cette enquête, les traqueurs de doryphores (zéro phyto oblige), les fans de fanes de radis, les parents adoptifs de poules de réforme, les insomniaques du calendrier lunaire et les chauds bouillants du stérilisateur sont en effet plus heureux que leurs congénères contraints de pousser du caddie, à défaut de pouvoir (ou de vouloir) faire pousser des carottes dans leur jardin ou des herbes aromatiques sur leur balcon. Accessoirement, les autoproducteurs réalisent des économies sur leur budget alimentaire tout en s’affranchissant des produits d’une industrie agroalimentaire perçue comme « anxiogène ». Les autres pourront toujours se faire du bien par procuration, en regardant à deux fois le futur étiquetage Planet-score de leurs victuailles avant de les lâcher dans le caddie.

De l’économie du bonheur (et pas l’inverse)

Les autoproducteurs sont-ils mieux dans leurs bottes que les agriculteurs ? L’enquête ne le dit pas. On serait tenté de souffler au groupe InVivo, maison-mère de Gamm vert (et autres jardineries Delbard et Jardiland), et qui en connait aussi un rayon côté agriculteurs, de nous éclairer sur le hiatus suivant : pourquoi l’attractivité du métier d’agriculteur est-elle inversement proportionnelle à l’attraction qu’exerce la terre sur tout le reste de la population, sans distinction (ou si peu) d’âge, de catégorie socio-professionnelle, de revenu, d’habitat, de territoire, etc. ? L’enquête donne indirectement un début de réponse : cultiver ses légumes, fabriquer ses conserves, élever ses poules, autrement dit faire soi-même, renforce la confiance et l’estime de soi, et au final la satisfaction de sa propre vie. C’est la théorie dite de « l’économie du bonheur ». Les agriculteurs ont sans doute le tort de rechercher le bonheur dans l’économie et dans leur bilan comptable : ils devraient accepter et assumer de pratiquer une agriculture vivrière qui ne dit pas son nom, ils ne s’en porteraient que mieux.

La relève au libre-service agricole

Il se trouve que les autoproducteurs ne sont pas foncièrement calculateurs : 13% y laissent des plumes (mais persévèrent), 18% pratiquent pour aider un proche, 47% donnent une partie de leurs récoltes à leur entourage. Un désintéressement qui en fait des candidats tout désignés au métier. Sachant que la régénération des agriculteurs reposera toujours plus sur les épaules des Nima, les Non issus du milieu agricole, les graines d’agriculteurs sont peut-être à dénicher dans les allées des jardineries, au moins autant que dans la cour des écoles. Avec une différence notable : les jardineries sont ouvertes 7 jours sur 7. Un autre signe.