Sécheresse : les Pyrénées-Orientales se préparent au pire

La Chambre d’agriculture évalue le préjudice économique à 367 millions d’euros, voire le double si les restrictions d’irrigation se poursuivent en juin. Son point accueil « agriculteurs fragilisés » est mobilisé. Le Crédit agricole met en place des mesures d’urgence.

Avec 200 mm de pluies sur les douze derniers mois, ce qui n’est pas très éloigné de la pluviométrie de Marrakech (Maroc), les Pyrénées-Orientales (PO) sont confrontées à une sécheresse jamais vue depuis la création de relevés météorologiques en 1959. La situation est telle que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dans son dernier bulletin hydrogéologique, fait état d’un « risque d’intrusion saline fort » du fait des niveaux historiquement bas de points de nappe superficielle. En situation d’alerte renforcée depuis le 23 février, le département des Pyrénées-Orientales a basculé le 10 mai en « crise sécheresse » sur une majeure partie du territoire.

Quelques jours auparavant, le ministre de l’Agriculture était venu dans le département constater l’ampleur du phénomène et soutenir les agriculteurs, levant au passage une interrogation quant aux modalités d’intervention du Fonds de solidarité national (FSN) institué par le nouveau dispositif de gestion des risques entré en vigueur le 1er janvier dernier. En effet, en cas de restriction d’irrigation, les référentiels applicables sont normalement ceux de la culture en sec. « Aucune décision administrative de restriction d’irrigation ne viendra limiter l’indemnisation de l’Etat », a (r)assuré Marc Fesneau le 6 mai sur place.

Le ministre de l’Agriculture dans un verger d’abricotiers à Espira-de-l’Agly (Pyrénées-Orientales) le 6 mai
Le ministre de l’Agriculture dans un verger d’abricotiers à Espira-de-l’Agly (Pyrénées-Orientales) le 6 mai

Entre 367 et 754 millions d’euros de pertes

La Chambre d’agriculture a procédé à une évaluation des pertes de production, des pertes de fonds en filières végétales et du surcoût en fourrage. En date du 16 mai, le total des pertes économiques est d’ores-et-déjà évalué à 367 millions, dont 78% de pertes de production et 22% de pertes de fonds. L’arboriculture paie le plus cher tribut, cumulant 51% des pertes, devant la viticulture (41%), le maraichage (4%), l’élevage (3%) et les grandes cultures (1%).

Les trois-quarts du département sont classés en « crise » sécheresse depuis  le 10 mai (Source : préfecture des Pyrénées-Orientales)
Les trois-quarts du département sont classés en « crise » sécheresse depuis le 10 mai (Source : préfecture des Pyrénées-Orientales)

La Chambre d’agriculture a fait des projections au mois de juin, en intégrant l’hypothèse de nouvelles restrictions d’irrigation et/ou de l’indisponibilité de la ressource. Le préjudice économique s’élèverait alors à 754 millions d’euros, dont 78% de pertes de production et 22% de pertes de fonds. Si la Chambre d’agriculture intègre ce scénario, c’est parce que le dernier arrêté préfectoral, ménageant « un débit agricole minimal », court jusqu’au 13 juin prochain. La pluviométrie, quasi-nulle, ne présage rien de bon.

Le défaut de pluviométrie et le faible enneigement n’ont pas permis de recharger le barrage de Vinça
Le défaut de pluviométrie et le faible enneigement n’ont pas permis de recharger le barrage de Vinça

Point accueil « agriculteurs fragilisés »

Face à la situation, la Chambre d’agriculture a mobilisé son point accueil « agriculteurs fragilisés ». « Cette période de sécheresse dramatique vient aggraver une situation déjà difficile et elle n’impacte pas uniquement l’entreprise mais aussi, bien souvent, l’exploitant, sa famille et ses salariés », souligne la Chambre. De son côté, le Crédit agricole Sud-Méditerranée a pris différentes mesures d’accompagnement et de soutien : pauses crédit jusqu’à 12 mois, mécanisme d’avances sur indemnisation par le fonds de solidarité nationale et sur les mesures complémentaires qui seraient prises par les pouvoirs publics, avances sur indemnisation par l’assureur multirisques climatiques pour les agriculteurs ayant fait le choix de s'assurer, financements court terme de trésorerie et moyen terme de consolidation... Ces mesures sont assorties d’un dispositif de prise en charge dédié dans les agences.

Faire des PO un département « pilote »

Au-delà de la gestion de crise, la Chambre d’agriculture se projette déjà dans l’avenir. « Nous devons obtenir l’assurance de ne pas revivre une situation similaire. Plusieurs sujets et dossiers sont ouverts et doivent être pour certains remis au premier plan à la lumière de la situation actuelle ».

Parmi les chantiers figurent la poursuite des mesures d’adaptation telles que la gestion optimisée de l’irrigation et l’évolution du matériel végétal. Mais la Chambre renvoie aussi la balle dans le camp de la puissance publique, réclamant notamment une gestion revue et corrigée des barrages écréteurs de crues à l’aune du nouveau climat, une remise à plat de de la réglementation entourant les débits réservés des cours d’eau méditerranéens ou encore la reconnaissance des bénéfices environnementaux des canaux gravitaires. La Chambre d’agriculture appelle aussi de ses vœux la création de nouvelles ressources (stockage, réutilisation des eaux usées traitées), réclamant le classement du département en territoire « pilote ».