Des maraîchers nantais pionniers : comment défient-ils leur dépendance aux énergies fossiles ?

Les maraîchers nantais explorent de nouvelles sources d'énergies compatibles avec la production de tomates et de concombre sous serre. A terme, ils espèrent se libérer de l'utilisation au gaz naturel. Le 11 avril dernier, les agriculteurs ont organisé une journée dédiée à cette thématique et présentent des solutions pour moins consommer.

Leur modèle ne plait pas à tout le monde. Qualifiés parfois de « maraîchers industriels », les serristes du bassin nantais, producteurs de tomates 8 mois sur 12, et de concombres 10 mois sur 12, sont pourtant les descendants directs des cultivateurs-jardiniers qui produisaient des légumes sur les tenues maraîchères de la ville de Nantes.

Depuis toujours tournés vers l’innovation (les jardiniers nantais étaient déjà des pionniers de la culture sous châssis), ces producteurs de tomates et concombre fournissent des conditions climatiques contrôlées (T°, hygrométrie) favorables à la pousse et à la bonne santé des fruits. Leur modèle est remarquablement efficient : sur seulement 150 ha de serres, et à raison de 60 kg à 75 par m2 de fruits et par an, ces maraîchers du bassin nantais produisent 5 à 8 % de la production française de tomates et 15 à 20 % de celle de concombre.

Les innovations technologiques ont permis de rendre ces systèmes de production économes en eau, intrants et produits phytosanitaires (ils sont souvent zéro insecticides), au point que la plupart des serristes sont certifiés haute valeur environnementale. Ils sont aussi reconnus comme acteurs essentiels de la souveraineté alimentaire française.

Mais reste un souci majeur : leur consommation énergétique. Déjà mobilisés sur ce sujet depuis une vingtaine d’années, d’abord pour des raisons économiques, tous les serristes du bassin nantais se sont équipés de systèmes de cogénération : au lieu d’utiliser du gaz naturel pour chauffer leurs serres, ils utilisent du gaz pour faire tourner des moteurs qui produisent de l’électricité et de la chaleur.

Une production équivalente à une tranche de centrale nucléaire

Jusqu’en 2021, ces systèmes aux rendements impressionnants (proches de 100 %) étaient soutenus par les pouvoirs publics avec un tarif de rachat de l’électricité par EDF garanti sur 12 ans. Ensemble, les 49 moteurs de cogénération des maraîchers nantais produisent l’équivalent de la consommation électrique de 300 000 habitants (à peu près comme une tranche de centrale de nucléaire). Ils constituent une part non négligeable du mix énergétique français avec une électricité locale, facile à mobiliser et rapide à mettre en route.

Performants, mais alimentés par une énergie fossile, ces systèmes n’ont plus les faveurs des subventions d’Etat sur le rachat de l’électricité. Peu à peu, les contrats de 12 ans arrivent à échéance, privant les maraîchers de visibilité économique (ils continuent néanmoins à vendre leur électricité, mais sur le marché libre). Au-delà des aspects économiques, les maraîchers nantais, comme les autres acteurs consommateurs d’énergie, sont évidemment très concernés par la transition énergétique.

C’est donc autour de cette thématique que les Maraîchers nantais, le groupe Eiffage énergie systèmes, et le groupe Olivier, hôte de la manifestation, ont organisé une « journée Décarbonation » le 11 avril dernier, réunissant environ 200 personnes, producteurs serristes et acteurs politiques locaux. A travers la visite des installations du groupe Olivier et des ateliers thématiques, de nombreuses solutions ont été évoquées, des sources d’économies de consommation ainsi que des alternatives vertes aux carburants fossiles.

Un panel de solutions

Jean-Luc Olivier, l’un des dirigeants du groupe Olivier, a présenté le système de récupération du CO2 récemment installé sur l’un des moteurs de cogénération. Cette technologie permet, non seulement, de diminuer les rejets extérieurs, mais, en plus, de favoriser la croissance des plantes, très fortes consommatrices de carbone. Autres équipements récents : un système de stockage de chaleur sous forme d’une grande cuve d’eau, qui permet de chauffer les serres les week-ends, lorsque les moteurs de cogénération sont arrêtés (le contrat actuel en marché libre ne demande de l’électricité que du lundi au vendredi).

Stéphane Olivier, autre dirigeant du groupe, a quant à lui évoqué les rénovations des serres existantes, pour les rendre plus étanches à l’air et plus isolées thermiquement, voire des constructions de nouvelles serres. Mais les investissements dans la haute performance énergétique ont un coût : « une serre de dernière génération, c’est 1,5 M€ par ha », rappelle-t-il. Pour assurer une part de sa production énergétique, l’exploitation a installé des panneaux photovoltaïques et une pompe à chaleur, des systèmes intéressants mais encore loin d’être suffisants.

D’autres solutions, disponibles à plus ou moins long terme, ont aussi été exposées lors de la journée du 11 avril : la géothermie peu profonde (déjà en application dans une exploitation à Brest), la pyrogazéification de la biomasse, les chaudières à CSR (combustibles solides de récupération) ou encore les moteurs à hydrogène.

« N’ayons pas peur de voir grand »

Cette dernière solution pourrait être prometteuse, à condition que l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau le soit à partir d’une énergie bas carbone (nucléaire ou renouvelable). Pour l’heure, les coûts de production de cet hydrogène vert sont encore trop élevés. Mais les maraîchers nantais ont la chance d’être situés dans un bassin industriel très actif, avec de nombreux autres acteurs intéressés par ce combustible. « N’ayons pas peur de voir grand, voire de produire nous-mêmes de l’hydrogène », a même lancé Cyril Pogu, maraîcher nantais et co-président de Légumes de France.

Comme ils l’ont fait par le passé, les Maraîchers nantais comptent aborder ce nouveau chapitre énergétique de manière collective et concertée. Ils vont pouvoir être aidés par un nouveau plan de 180 M€ (60 M€ par an sur 3 ans) qui vient de leur être accordé par l’Etat dans le cadre de la planification écologique. Ces aides aux investissements dans la rénovation des serres et les agroéquipements vont pouvoir s’ajouter aux aides déjà existantes de l’Ademe et de la Région.