Marc Fesneau : « Irriguer pour nourrir, c’est de l’intérêt général, autant que le soutien à l’étiage »

Le ministre de l’Agriculture entend lever les freins réglementaires au curage des réserves d’eau, et à la réutilisation des eaux usées, tout en défendant la construction de nouveaux ouvrages de stockage, « composante à part entière de la résilience de l’agriculture, avec l’adaptation des pratiques, l’innovation génétique et l’assurance climatique ».

« Il y a beaucoup de surfaces en eau et d’ouvrages existants qui, au fil des ans, se sont envasés, on estime ainsi que 30% d’eau supplémentaire serait mobilisable sans construire aucun ouvrage », déclare Marc Fesneau. A l’occasion d’une conférence de presse avant la tenue du Salon de l’agriculture, le ministre de l’Agriculture a évoqué le sujet de l’accès à l’eau, à l’heure où la France vient de vivre, en plein hiver, une séquence inédite de 32 jours sans pluie, après une année 2022 historiquement chaude et sèche.

Mais il en va de l’eau comme des ZNT ou de la méthanisation : rien n’est jamais très simple en France. « Le point de blocage est réglementaire car le curage est soumis à autorisation, une procédure plutôt lourde, pour ne pas dire lourdingue, et qui fait que tout le monde renonce », concède Marc Fesneau. Lui n’entend pas renoncer et escompte bien ouvrir le dossier dans un proche avenir.

"D’ici au mois de juin prochain, 60 projets de réserves, sur un total de 300, entreront en service "

Sur un autre sujet, qui touche aussi la mobilisation de la ressource, le ministre de l’Agriculture promet la sortie, d’ici à la fin mars, du décret censé ouvrir les vannes à la Réutilisation des eaux usées (REUT), un domaine où la France accuse du retard par rapport à certains de ses voisins. Autre avancée prévue : le déblocage des Projets de territoire et de gestion de l’eau (PTGE), embourbés non pas dans la vase, et pour cause puisque les réserves sont virtuelles, mais noyés dans les dédales administratifs et judiciaires. Mais le Varenne de l’eau est passé par là.  « D’ici au mois de juin prochain, 60 projets de réserves, sur un total de 300, entreront en service », assure le ministre.

"Il y a un sujet budgétaire sur le financement des réserves. Le président de la République devrait faire des annonces au Salon"

Objet de crispation s’il en est, le ministre de l’Agriculture réfute le procès en privatisation de l’eau par les agriculteurs, instruits par les opposants aux réserves en eau. « Irriguer pour nourrir, c’est de l’intérêt général, autant que le soutien à l’étiage », déclare Marc Fesneau, qui réfute au passage toute distorsion de vue avec Christophe Béchu, son collègue en charge de la Transition écologique.

Qu’on les qualifie de réserves de substitution ou de « méga-bassines », les infrastructures de stockage ne constitueront de toute façon qu’une partie, pour ne pas dire qu’une petite partie de la solution, pour des questions de partage de la ressource mais aussi pour des questions financières. « Il y a un sujet budgétaire sur le financement des réserves, qui concerne l'Etat et les collectivités locales. Le président de la République devrait faire des annonces au Salon », probablement en lien avec le Plan national sur l’eau que doit incessamment sous peu présenter le ministre de la Transition écologique. Marc Fesneau juge en tout cas que les systèmes herbagers sont parmi les plus exposés au dérèglement climatique, « puisque l’on ne va pas irriguer les prairies ».

"Plutôt que de consacrer 300 millions d’euros en frais de gestion, je préfère les allouer à la recherche, à l’adaptation des systèmes ou à la construction de réserves"

Mais il y a l’assurance récolte. Et en matière de prairie, les éleveurs continuent de tiquer sur le système indiciel satellitaire. « Airbus va apporter des évolutions à son système dans le courant de cette année, annonce Marc Fesneau, qui réaffirme que le système indiciel restera le pilier du dispositif en prairie, corroboré, en cas de recours, par une centaine de fermes de référence, en lieu et place des enquêtes de terrain. « Plutôt que de consacrer 300 millions d’euros en frais de gestion, je préfère les allouer à la recherche, à l’adaptation des systèmes ou à la construction de réserves. On a aussi besoin de crédibiliser le système vis-à-vis des assureurs, à qui l’on demande déjà beaucoup, et qui ne sont pas des philanthropes. Ou alors je vais piocher dans la Pac ».

"Le système assurantiel, il n’est qu’une partie de la résilience au dérèglement climatique, avec l’accès à l’eau, l’adaptation des pratiques ou encore l’innovation génétique"

Si la pluie continue de se faire aussi rare dans les semaines et les mois à venir, l’année 2023 pourrait bien faire office de crash-test pour le nouveau dispositif assurantiel à trois étages, trois niveaux d’impacts et trois prises de responsabilité (agriculteur, assureur, Etat). « Le système assurantiel, il n’est qu’une partie de la résilience au dérèglement climatique, avec l’accès à l’eau, l’adaptation des pratiques ou encore l’innovation génétique », affirme Marc Fesneau.

Le ministre mise aussi sur des variétés résistantes aux stress hydrique et thermique pour affronter les périls à venir, autrement dit sur les nouvelles techniques de sélection NBT (New breeding technologies). « NBT qui ne sont pas des OGM », précise Marc Fesneau, se référant au jugement de la Cour de justice de l’UE. Les premières variétés pourraient débarquer dans les champs à l’horizon 2024-2025, à l’issue du processus réglementaire européen. Il reste donc deux à trois ans ans à leurs promoteurs pour convaincre l’opinion publique de leur bien-fondé et de leur innocuité. Deux à trois ans pour ne pas inventer des surtranspositions dont la France a le secret. C’est à la fois court... et long.