Stockage de l’eau : un coupable déficit... de données

Alors que les réserves de substitution et autres retenues collinaires cristallisent les tensions, l’absence de données objectives sur un certain nombre de paramètres, tels que l'envasement ou l'évaporation, ne participe pas à rationaliser les débats et à poser des diagnostics clairs.

Combien la France compte-t-elle de lacs, retenues collinaires et autres réserves de substitution ? Quelles sont leurs capacités de stockage théoriques ? Quel est, pour chacune d’elle, le taux de mobilisation effectif de la ressource par les différents usagers ? Dans quelle proportion le phénomène d’envasement oblitère-t-il les volumes de stockage ? Les retenues collinaires sont-elles seulement alimentées par ruissellement (et pas aussi par l’eau des sources et les cours d’eau) ? Quel est l’impact cumulé des retenues sur le milieu aquatique ? Quelle est la contribution des retenues à l’étiage des cours d’eau ? Quels est le pourcentage d’eau stockée mais perdue par évaporation et dans quelle mesure la pluie compense-t-elle le phénomène ? Autant de questions dont on pourrait penser qu’elles sont étayées de données officielles et/ou scientifiques mais qui s’avèrent en fait encore très largement lacunaires sinon approximatives.

La preuve ? Parmi les annonces du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique, finalisé le 1er février 2022, figurait le lancement d’un inventaire exhaustif des retenues d’eau (supérieures à 0,1 ha) ainsi que le suivi des volumes stockés par méthodes satellitaires en lien avec le Centre national d’études spatiales (CNES). Figurait aussi un appel à manifestation d’intérêts pour la sélection d’une dizaine de territoires pilotes pour explorer les voies de remobilisation des volumes stockés non-utilisés. Autant d’annonces dont les effets se font attendre.

"30% d’eau supplémentaire serait mobilisable sans construire aucun ouvrage"

Concernant l’envasement, le ministre de l’Agriculture évoquait récemment le chiffre de « 30% d’eau supplémentaire mobilisable sans construire aucun ouvrage ». Pas plus de données sur l’origine de l’eau des retenues collinaires et sur leur effet cumulé sur le milieu aquatique. « Le déficit de données et connaissances constaté limite le nombre d’indicateurs pertinents ou de méthodes validées qui permettraient d’emblée de caractériser l’influence d’un ensemble de retenues sur un bassin versant, voire d’anticiper l’effet de la construction de nouvelle(s) retenue(s) », pointait l’Inrae en 2016 en conclusion d’une expertise scientifique collective. L’analyse a néanmoins permis d’en élaborer « le cadre méthodologique » mais la phase opérationnelle se fait là aussi attendre.

Même lacune en ce qui concerne l’évaporation, au grand dam des opposants aux « méga-bassines » des Deux-Sèvres qui déplorent, entre autres, l’absence de la prise en compte de ce paramètre dans les études préalables. La Coop de l’eau 79, qui porte les projets de réserve, évoque un bilan pluie/évaporation de -3% à -4%, sur la base du retour d’expérience d’ouvrages similaires dans la région. Un ratio que les scientifiques peinent à documenter, sachant que l’élévation des températures va accroître l’évapotranspiration : +10% à +15% pour +1°C.

A l’heure où le changement climatique accroît les tensions entre usages voire entre usagers, doux euphémisme eu égard aux événement de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 25 mars (200 blessés chez les manifestants, 47 chez les gendarmes selon les chiffres des deux parties), le déficit de données objectives sur les vertus et les impacts des infrastructures de stockage est pour le moins problématique.

Pour un certain nombre de scientifiques, dont Florence Habets, directrice de recherche en hydrométéorologie au CNRS, les réserves de substitution sont le symptôme d’une « maladaptation » au changement climatique, comme elle l’a décrit dans un article sur le site Bon Pote. « On traite le symptôme, la pénurie d’eau, au lieu de s’attaquer à l’origine du problème, le déséquilibre entre les besoins et la disponibilité de la ressource et à ses racines, à savoir les pratiques, les usages et le partage ». Le tout sur fond de sécheresses pluriannuelles, qui vont contrarier le remplissage des réserves, sinon accentuer les prélèvements dans la nappe.

L’OFB, l’Office français de la biodiversité (ministère de la Transition écologique), ne le disait pas autrement dans un avis rendu en septembre 2021, à propos du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique, rappelant au passage que le Gouvernement s'était engagé, en 2019, dans le cadre des Assises de l’eau, à diminuer les prélèvements de 10 % d'ici à 2025 et de 25 % d'ici à 2035. « Faciliter l’accès à l’eau c’est souvent retarder les changements des systèmes agricoles, c’est aussi amplifier la consommation en eau par la poursuite et le développement de systèmes consommateurs d’eau, écrivait son conseil scientifique en septembre 2021. Il peut en résulter au final une nouvelle dépendance à l’eau des exploitations agricoles parfois plus forte qu’initialement. L’augmentation de la mobilisation de l’eau entraine également des impacts sur la qualité des écosystèmes ».

Prélèvements d’eau douce pour l’agriculture par département en 2019 (Source : Office français de la biodiversité)
Prélèvements d’eau douce pour l’agriculture par département en 2019 (Source : Office français de la biodiversité)

Il faut toutefois se rappeler que le Varenne ne se focalise pas uniquement sur la ressource mais qu’il comprend également un volet sur l’adaptation des filières agricoles et des territoires au changement climatique, en cours de déploiement. Il a également accouché d’une refonte de l’assurance récolte, autre facteur de sécurisation des productions.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en France, 6,8% (seulement) de la surface agricole utile est irriguée. Mais pour autant, l’agriculture représente 58% des prélèvements annuels d’eau douce. Deux derniers chiffres : la capacité du barrage de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), la plus grande réserve d’eau douce d’Europe de l’Ouest avec 1,27 milliard de m3, équivaut au tiers de l’eau consommée annuellement en France, soit 4,1 milliards de m3, tous usages confondus. Serre-Ponçon, c’est le site choisi par Emmanuel Macron pour dévoiler, ce 30 mars, « le Plan d’action pour une gestion concertée et résiliente de l’eau ».