Label bas carbone : Introduire de la luzerne dans une rotation céréalière

Dans le Calvados, Xavier Hay, céréalier de son état, s’est lancé le défi de produire de la luzerne. L’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de son exploitation, tout en diversifiant ses rotations de cultures. Pour valoriser la luzerne, il a signé un contrat avec un éleveur du département voisin.

Introduire des légumineuses fixatrices d’azote dans la rotation représente l’un des leviers de la méthode grandes cultures du Label Bas Carbone (méthode LBC grandes cultures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES).
Xavier Hay, céréalier dans la plaine de Caen, s’est engagé dans cette démarche en 2022. Il a décidé d’actionner le levier légumineuses en implantant 9ha de cette culture sur les 145 ha que compte son assolement. Cette production est venue s’ajouter aux 15 ha de pois protéagineux déjà présents dans la rotation.

La luzerne, une option non négligeable

Une décision loin d’être anodine. Si l’implantation de luzerne sur l’exploitation a un but environnemental clair, le volet économique doit lui aussi être pris en compte. Le gain estimé des crédits carbone sur lesquels Xavier Hay s’est engagé seront versés pour 40% en février 2027 avec un versement final en 2029. Les légumineuses doivent donc se rentabiliser elles-mêmes dans l’immédiat. « La luzerne est implantée sur une période de 3 ou 4 ans. Je perds 1 ou 2 années de blé, ce qui n’est pas rentable pour moi. Par contre si je réfléchis à l’échelle de la rotation, à condition de réussir la luzerne et en intégrant les effets
bénéfiques de cette culture sur les productions suivantes, je m’y retrouve tout juste
 », analyse l’agriculteur normand. Pour autant la luzerne représentait une opportunité intéressante dans le contexte de son exploitation. En effet, la fermeture de la sucrerie de Cagny le privait d’une culture dans sa rotation. Il évoque aussi le pH du sol à 8 plutôt favorable à la luzerne. La luzerne se révèle donc une option très intéressante pour une partie de ses terres au potentiel plus limité et sur lesquelles il ne cultivait plus que du blé, de l’orge et du colza.

Trouver un débouché pour la luzerne

Faute d’usine de déshydratation dans son secteur, Xavier Hay a tout simplement posté une petite annonce. « J’ai signé un contrat avec un éleveur qui vient chercher les balles de luzerne avec son propre camion » explique-t-il. L’agriculteur regrette
cependant que la démarche administrative soit si compliquée vis à vis de la PAC pour justifier de ce contrat avec l’éleveur. Côté matériel, après une première année durant laquelle il avait délégué l’ensemble de la récolte, il s’est équipé d’une faucheuse et d’un andaineur. « Je suis plus flexible sur les coupes et je suis sur de pouvoir en réaliser trois dans l’année, ce qui est un minimum en terme de rentabilité de la culture » justifie-t-il. Le calendrier de récolte de la luzerne s’intercale de manière intéressante avec les travaux des champs de la production céréalière. « La première coupe se situe entre le 15 et le 30 mai durant une période plutôt calme pour moi. Idem pour la troisième coupe en septembre. Généralement c’est la deuxième coupe qui peut être problématique et se télescoper avec la moisson, mais j’essaie généralement de la réaliser avant. »

Réduire l’utilisation d’engrais de synthèse

Si la méthode LBC grandes cultures s’intéresse à ces légumineuses, c’est pour leur pouvoir de captation de l’azote de l’air. Cet azote ensuite restitué au sol représente une réduction substantielle de fertilisation minérale. « La culture va venir puiser l’azote de l’air pour son développement ce qui va faire économiser des apports d’engrais azotés de synthèse, émetteurs de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre » souligne François Lesaunier, conseiller agronome au sein de la chambre d’agriculture de Normandie. Sur sa ferme, Xavier Hay confirme n’apporter que de la potasse sur la luzerne. La méthode LBC grandes cultures comptabilise ainsi une réduction des émissions de GES de 2000 à 2200 kgeqCO²/ha pour une « culture principale non fertilisée par rapport à une culture fertilisée comme le blé ». À cela s’ajoute l’effet de la réduction de dose d’engrais sur la culture suivante, qui est estimée à 1990 kgeqCO²/ha pour une luzerne. Sur son exploitation, Xavier Hay vient seulement d’implanter son premier blé après une parcelle cultivée pendant 3 ans en luzerne. Il n’a donc pas encore pu évaluer les unités d’azote économisées. « Visuellement le blé est plus vert que celui que j’ai implanté à côté et qui n’a pas de précédent luzerne. Je devrais pouvoir économiser 30 à 40 unités d’azote » assure-t-il. Si elle permet de réduire les émissions de GES, une luzerne cultivée sur trois ans a également une fonction de stockage du carbone dans le sol. La méthode LBC grande culture évalue ce stockage a 1709 kgeqCO²/ha/an pour une prairie temporaire de trois ans.

Des atouts multiples

Si la luzerne permet de réduire les émissions de GES de l’exploitation, son intérêt ne s’arrête pas là. Sur l’exploitation de Xavier Hay, cette culture permet à l’agriculteur de nettoyer efficacement ses parcelles. « En cassant la rotation, la luzerne me permet de lutter contre le ray-grass dans le blé. Pendant 3 ans, j’ai une action forte contre cette adventice pour réduire le stock semencier de la parcelle » explique-t-il. La luzerne joue également un rôle sur le volet agronomique. « Les racines « pivot » vont permettre de structurer le sol en le décompactant en profondeur et ainsi améliorer l’infiltration de l’eau et l’accès aux nutriments du sol plus profonds », relève François Lesaunier.