Comprendre l’enjeu du carbone en agriculture

Partie 3/5

Les leviers pour agir sur la séquestration du carbone

Pour atteindre, la neutralité carbone, il faut tout d’abord limiter au maximum les émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture dispose d’un autre atout : capter le carbone de l’air pour le stocker dans les sols. Et chaque exploitation peut y contribuer !

Le stockage du carbone dans le sol repose sur l’équilibre entre les différentes pratiques culturales, en lien avec les processus qui contrôlent ce stockage (synthèse microbienne, lessivage, interactions organo-minérales). L’objectif ? Augmenter la présence de matière organique. Les agriculteurs et les agricultrices peuvent agir sur les restitutions par les couverts végétaux et les résidus de culture, l’apport de matières amendantes d’origine organique ou encore l’insertion de prairies temporaires dans les rotations. « Sous nos latitudes, la réduction du travail du sol n’a pas d’influence sur la quantité de carbone stocké mais sur sa répartition dans le profil de sol », précise Laure Nitschelm, ingénieur R&D spécialiste de l’évaluation environnementale chez Arvalis. Mais attention : « La diminution de la fertilisation minérale peut entraîner des rendements plus faibles, donc un déstockage de carbone, variable selon le contexte pédoclimatique régional, et qui est bien plus rapide que le processus de stockage », avertit-elle. Les mesures à prendre doivent donc se raisonner à l’échelle de la rotation.

Pas de sols nus

« Le levier le plus important pour stocker du carbone dans le sol est de laisser les sols à nu le moins longtemps possible, indique Suzanne Reynders, responsable du programme prioritaire international sol et climat de l’Inrae. Il faut profiter de l’ensoleillement et de la capacité du sol à produire de la matière organique par la photosynthèse autant que faire se peut ». En plus de leur avantage contre le réchauffement climatique et l’érosion des sols, ces pratiques présentent plusieurs intérêts agronomiques : limiter le développement des adventices, stimuler l’activité biologique du sol et rompre les cycles des maladies et des ravageurs.

Comme on le voit sur ce schéma, le stockage reste non négligeable avec les prairies et même les cultures.

L’important potentiel des prairies

Si la forêt génère un stockage plus permanent, les autres types de couverture végétale ont leur rôle à jouer, en particulier les prairies dont le mode de gestion (fauche, pâture) conditionne les performances de stockage du carbone des élevages. Augmenter la durée des prairies temporaires fait partie des leviers à activer même si le stockage est plus efficace avec des prairies de plus de 5 ans. Toutefois, « la capacité de stockage d’une prairie dépend du stock initial de carbone dans le sol », explique Jean-Baptiste Dollé, directeur Climat Environnement Ressources de l’institut de l’élevage (Idele). Il insiste sur l’importance d’améliorer le fonctionnement des prairies en ne négligeant pas la fertilisation : « Une prairie sous fertilisée voit sa capacité de stockage du carbone réduite. Idéalement, il faut privilégier le pâturage, en particulier à proximité des bâtiments d’élevage ».

Outre les actions à mener en parallèle sur les cultures pour stocker du carbone (épandage d’effluents et de composts, restitution des résidus de culture…), la gestion des haies est un autre moyen à privilégier. L’expert de l’Idele mentionne aussi la piste de l’agroforesterie (arbres et prairie), en cours d’étude, et l’agrivoltaïsme dont les résultats des premiers projets apparaissent prometteurs (électricité décarbonée tout en maintenant la production fourragère). Actuellement en France, l’élevage bovin compense 30% de ses émissions totales de gaz à effet de serre grâce au stockage du carbone dans les prairies de longues durées (212 à 570 Kg C/ha/an), les prairies en rotation (80 Kg C/ha/an) et les haies (125 Kg C/100ml/an).

La fonction de « puits de carbone » de l’agriculture concerne tous les systèmes de culture.

« Raisonner système » : l’exemple de la méthanisation

Maximin Charpentier, céréalier et producteur de pommes de terre à Lachy (51), également président de la Chambre d’agriculture Grand Est, a mis en place un méthaniseur avec quatre autres agriculteurs. En fonctionnement depuis quelques mois, il détaille les intérêts et les enjeux de ce système.

« La mise en place d’un méthaniseur a nécessité de repenser l’ensemble des rotations, sur une durée de 5 à 6 ans, avec une couverture permanente des sols. Les CIVE (ndlr : cultures intermédiaires à vocation énergétique) sont présentes de fin septembre à mai, suivies par des cultures printemps - du maïs ou du sorgho. Nous produisons désormais trois cultures en deux ans sur un tiers de l’exploitation. Le digestat épandu sur les parcelles stimule la vie du sol, donc la formation de matière organique, qui favorise la résistance à la sécheresse, l’évacuation des excès eau et le stockage du carbone ! Le digestat couvre en moyenne deux tiers des besoins en azote, ce qui réduit l’apport d’azote minéral. Nous nous attachons à produire un maximum de biomasse avec moins d’énergie fossile : travailler plus lentement le sol, labourer le moins possible, ne pas toujours exporter la biomasse, améliorer l’exposition au soleil et la photosynthèse - cela passe par le choix des espèces, et même des variétés, qui réagissent le mieux. Préserver le bon fonctionnement des sols est une condition indispensable pour continuer à produire malgré le changement climatique. Désormais, 15% des surfaces de l’exploitation sont dédiées à la méthanisation pour produire 85% de cultures alimentaires neutres en carbone ! L’enjeu global est d’assurer une bonne répartition de la biomasse entre les marchés alimentaires et les autres besoins ». Pour Maximin Charpentier, trois orientations sont possibles, à combiner autant que possible : installer des méthaniseurs, développer l’élevage (a minima le maintenir) pour son rôle dans le cycle de l’azote ou implanter des légumineuses. Dans tous les cas, pour lui, un des défis à relever est la vulgarisation de ces nouvelles pratiques par la formation des producteurs.

 

>> Aller au chapitre 4

ou Retourner au sommaire