Réforme de la Pac : 4 ans, 4 ministres et un copié-collé

[Edito] Alors que la Pac 2023-2027 instaure des indicateurs de performance des actions et des aides allouées aux agriculteurs, on peut s’interroger sur l’efficience de la fabrication d’une pseudo-réforme. Mais au vu des enjeux financiers, peut-on échapper au copié-collé ?

Le 1er juin 2018, la Commission européenne présentait ses propositions législatives relatives à la réforme de la Pac. Le 31 août 2022, elle donnait son blanc-seing à la France pour son Programme stratégique national (PSN) courant sur la période 2023-2027. Entre-temps, quatre ministres de l’Agriculture se seront succédé rue de Varenne et on ne compte pas le nombre de conseils européens, de trilogues, de débats parlementaires européens et nationaux, ainsi que de conseils supérieurs d’orientation (CSO), sans oublier la plateforme participative du débat public ImPACtons et son assemblée citoyenne sur l’agriculture. Avec en prime le Haut conseil pour le climat, la Cour des comptes ou encore l’Autorité environnementale, au final, chaque citoyen aura de près ou de loin donné son avis sur la Pac. 4 ans pour régir 5 ans de politique agricole, ça interpelle.

Tout ça pour ça ?

A l’heure où les régimes nationalistes sinon autoritaires sont de plus en plus invasifs, on peut toutefois saluer ce formidable exercice démocratique qui honore notre Union, d’autant plus que la Pac, qui fête cette année ses 60 ans, demeure la seule et unique politique commune de l’Union européenne (en dépit de quelques distorsions persistantes). A la décharge de l’UE, il faut pointer le télescopage de la réforme avec les élections européennes (démocratie oblige) et le renouvellement de la Commission européenne, l’irruption du Green deal et de deux urgences cruciales (climat et biodiversité), un Brexit totalement « crazy », une crise sanitaire au retentissement planétaire et pour finir une guerre aux frontières de l’UE... laquelle remet en partie les arbitrages tout frais émoulus, pour cause de menaces sur notre sécurité et notre souveraineté alimentaires (et énergétiques).

Tout ça pour quoi ? Un Parlement européen érigé au rang de co-législateur (démocratie oblige), une dose de subsidiarité avec les fameux PSN, histoire d’en finir avec une Pac hors-sol et une souris verte, avec un Paiement vert rebaptisé « écorégimes », près des 80% des exploitations de grandes cultures y étant spontanément éligibles, et 13% en sus, moyennant une modification de 5% de leur assolement, de l'aveu de l'ex-ministre Julien Denormandie. Ah si : l’instauration et le contrôle, par la Commission, d’indicateurs de performance des actions et des aides allouées, s’ajoutant aux contrôles de conformité, ainsi que l’introduction d’une conditionnalité sociale.

La Pac, 74% du revenu

En réalité, si le jus de cervelles a bouillonné pendant quatre ans, le processus s’est arrêté le 21 juillet 2020, quand les 27 membres de l’UE ont fixé le cadre financier de la Pac, et plus précisément sa préservation, la France conservant peu ou prou son budget. Ouf. Le 21 mai 2021, lorsque Julien Denormandie présente les arbitrages du PSN français, il dévoile une carte comparant sa réforme avec celle négociée par Stéphane Le Foll en 2014. Avec la Pac 2023-2027, les paiements directs et l’ICHN ne varieront pas de plus ou moins 4% pour toutes les filières et tous les territoires, contre plus ou moins 30% pour la Pac 2014-2020. La messe était dite. Et si le ministre tord un peu le bras à la bio, son successeur Marc Fesneau se verra contraint de le redresser. Il ne faut pas oublier que la Pac, en France, génère en moyenne 74% du revenu courant avant impôt des agriculteurs (2019), avec, selon l’INRAE, des pointes à 250% en bovins viande, 165% en ovins et caprins, 136% en bovins mixtes, 128% en céréales et protéagineux. Courage pour la prochaine.