Souveraineté : la double faim d’azote de la ferme France

Les importations d’azote sous forme d’engrais et de soja relativisent les performances des filières céréalière et laitière, selon un rapport sur l’évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France, que le gouvernement publiera chaque année, conformément à la future loi d’orientation agricole. En attendant le futur Plan de souveraineté Azote et la révision de notre régime alimentaire, hyper-protéiné.

« Les exportations de protéines sous forme de céréale sont plus que compensées par les importations d’azote minéral. Les exportations de protéines animales (produits laitiers, viande), sont inférieures aux importations d’azote sous forme de protéines végétales nécessaires à leur production, notamment tourteaux et graines de soja, importés du Brésil et d’Argentine ». En deux phrases, le rapport sur l’évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France, publié par le gouvernement le 31 mars dernier, pousse le concept de souveraineté alimentaire dans ses retranchements, non sans piquer au vif notre orgueil de première puissance agricole de l’UE. Et pourtant, il va falloir s’y habituer.  Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 13 mai impose au gouvernement la publication annuelle d’un rapport sur les forces et faiblesses de notre souveraineté.

Echanges extérieurs de produits agricoles en 2021, exprimés en Mégatonnes de protéines, avec une consommation moyenne de protéines en France est de 1,4kg/kg/j de poids corporel, soit environ 1,9Mt, les recommandations du PNNS étant de 0,83g/kg/j soit 1,12Mt (Source : Secrétariat général à la planification écologique)
Echanges extérieurs de produits agricoles en 2021, exprimés en Mégatonnes de protéines, avec une consommation moyenne de protéines en France est de 1,4kg/kg/j de poids corporel, soit environ 1,9Mt, les recommandations du PNNS étant de 0,83g/kg/j soit 1,12Mt (Source : Secrétariat général à la planification écologique)

En résumé, sans les engrais minéraux, importés en 2022 à plus de 80%, dont une large part en provenance de pays tiers, et sans le soja sud-américain, adieu notre souveraineté (et nos bénéfices commerciaux ) dans deux filières d’excellence que sont les céréales et les produits laitiers. Tous produits alimentaires confondus, la France exporte deux fois plus de calories que les Français n’en consomment mais elle est très dépendante de l’azote que renferment ces protéines végétales et animales. Selon le rapport, le sujet sera pris à bras le corps avec le futur Plan de souveraineté Azote, le pendant du Plan protéines, tandis que du côté des filières sont mis en avant les plans de souveraineté dans les secteurs de l’élevage et des fruits et légumes.

Vision hélicoptère de l’exposition au commerce extérieur des principales filières agroalimentaires sur la période 2020-2022 (Source : Secrétariat général à la planification écologique)
Vision hélicoptère de l’exposition au commerce extérieur des principales filières agroalimentaires sur la période 2020-2022 (Source : Secrétariat général à la planification écologique)

En France, on n’a pas de pétrole... et guère plus de biocarburants

Les forces et faiblesses des filières agricoles et agroalimentaires ne sont pas une découverte. Chaque année, les chiffres du commerce extérieur en témoignent. Mais ces données ne creusent pas l’exercice jusqu’à l’examen des facteurs de production, en l’occurrence les engrais et le soja. Toutefois, le rapport se garde bien d’être exhaustif, en faisant l’impasse sur les autres biens de production en souffrance que sont les produits phytosanitaires, le matériel ou encore la main d’œuvre, via les emplois détachés. On n’oublie pas le poste énergétique. En France, on n’a pas de pétrole... et guère plus de biocarburants. Selon le rapport, la filière biocarburants à base de colza et tournesol dépend à 75% d’importations.

La montée en charge des bioénergies et des biomatériaux

L’évocation des biocarburants est tout sauf anodine car le recul des énergies fossiles, neutralité carbone oblige, va en partie s’opérer sur une plus forte sollicitation de la biomasse, au service des bioénergies et de biomatériaux. « La notion de souveraineté alimentaire française doit être étendue à d’autres enjeux que l’alimentation des Français et Françaises, car les ressources en biomasse concernées jouent également un rôle essentiel dans la souveraineté industrielle et la souveraineté énergétique du pays, pointe le rapport.  Or les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) vont nous conduire à avoir recours à un volume plus important de biomasse, tous besoins confondus, alors même que sa production est soumise à des contraintes physiques croissantes ».

Réinterroger notre régime alimentaire

Or vert, la ressource en biomasse n’est pas illimitée et se trouve à la croisée de multiples enjeux que sont la sécurité alimentaire, le besoin de retours au sol pour garantir le stock de carbone et préserver la fertilité, le maintien du puits forestier, le tout sur fond de changement climatique, d’érosion de la biodiversité, de dégradation et d’artificialisation des sols.  L’équation de la souveraineté alimentaire ne va pas manquer de se complexifier dans les années à venir. Elle ne fera pas l’économie d’une remise en question de notre régime alimentaire, caractérisé aujourd’hui par une surconsommation de protéines, et de protéines animales en particulier.