Vers des élevages autonomes en protéines

Partie 1/6

Autonomie en protéines : enjeux et intérêts

Nous allons voir dans cette partie que l’autonomie en protéines est une notion qui doit être bien définie dès le départ pour pouvoir mettre en place une stratégie efficace pour atteindre cet objectif. Quelle échelle, quelle source de protéines, quelles pratiques agroécologiques, quels impacts sur le système et la marge...? Autant de questions à se poser avant de se lancer.

Définition

Globalement, l’autonomie en protéines se rapporte à la capacité d'un territoire à répondre aux besoins alimentaires protéiques de ses élevages, mais cette notion de territoire est relative : il ne s’agit pas forcément de l’exploitation, car l’autonomie peut s'étudier à des échelles plus larges : commune, coopérative, AOP, région, pays, etc. De la même manière, l'autonomie en protéines peut être étudiée en distinguant l'autonomie fourragère de l'autonomie en concentrés, puisqu'à l'échelle de la France cette dernière est proportionnellement plus faible.
L'autonomie protéique s'exprime par le pourcentage des aliments autoproduits sur le total des aliments consommés annuellement par un atelier d'élevage, l'unité la plus souvent retenue est la MAT (Matière Azotée Totale).

On considère ainsi en France que pour les filières allaitantes, le niveau moyen d'autonomie protéique est d'environ 80%, contre 70% pour les élevages laitiers (ovins et bovins) et seulement 47% pour les exploitations caprines. Ces valeurs moyennes cachent de nombreuses disparités, et la question de leur accroissement fait l'objet de divers plans nationaux (ex : CAP protéines) ou régionaux (ex : SOS - Protéines), afin de répondre à un certain nombre d'enjeux présentés ci-dessous.

Enjeux

Enjeux économiques

L'autonomie protéique, et plus largement l'autonomie alimentaire des élevages, a pour avantage et souvent pour objectif d'offrir une certaine stabilité économique.

En effet, elle peut permettre notamment de réduire la dépendance aux achats des Matières Riches en Protéines (matières contenant au moins 15% de matière azotées). C'est par exemple le cas des tourteaux de soja, dont la variabilité des cours est très forte et peut évoluer du simple au double en l'espace de quelques mois.

Historique des cours du tourteau de soja sur la décennie 2012-2022 - Les Échos investir

En période de fortes perturbations économiques, cette variabilité des cours peut être encore plus grande. Car depuis plus d'une décennie, seuls trois pays exportent une très large majorité des tourteaux de soja dans le monde : l'Argentine, le Brésil et les Etats-Unis d'Amérique. Entre 2015 et 2020 ils représentent en moyenne à eux trois 80% des exportations mondiales.

Cette asymétrie renforce davantage la volatilité des cours mondiaux, et notamment en période de tensions géopolitiques ou économiques, voire d'aléas climatiques. Citons l'exemple de l'Argentine, qui à la mi-mars 2022 a menacé de stopper ses exportations pour rehausser les taxes sur cette matière première, immobilisant ainsi 41% de la production mondiale.

Exportations annuelles de tourteau de soja des 10 pays principaux dans le classement mondial. Données FAO STATS.

Accroître l'autonomie protéique d'un état, ou autre échelle, permet donc à celui-ci d'être bien moins dépendant d'un marché mondial très fluctuant et instable, et qui tend à le devenir de plus en plus.

Attention cependant à ne pas confondre autonomie et résilience. L’autonomie permet de s’abstraire partiellement des marchés mondiaux, mais ne permet pas de se protéger de l’impact d’une mauvaise année (sécheresse, etc…). Elle doit donc se concevoir de manière systémique en incluant des capacités de stockage ou d’approvisionnement tiers en cas de défaut au niveau local.

Plusieurs études démontrent qu'un accroissement de l'autonomie protéique (et de l'autonomie alimentaire au sens large) s'accompagne ainsi d'une baisse du coût d'alimentation, et parfois même d'un impact positif sur la rentabilité de l'atelier.
Ainsi, augmenter son autonomie protéique induit une meilleure maîtrise des coûts de production, et permet d’être plus libre de trouver un optimum économique entre l'autoproduction et l'achat d'aliments selon les aléas.

Enjeux environnementaux

Relocaliser l'alimentation protéique des élevages s'inscrit dans une dynamique de réduction de leurs impacts environnementaux.

Il est reconnu que les aliments importés sous forme de tourteaux (comme le soja) proviennent souvent de terres libérées par la déforestation (Brésil, Argentine) et que l'importation de ces aliments concentrés a souvent pour effet de rompre ou perturber les cycles de l'azote locaux, en déplaçant des quantités importantes d'un continent à l'autre.

Flux d'azote, contenu dans les aliments d'élevage, selon la densité du cheptel des différentes régions françaises. - J. Le Noé et al. 2016

L'accroissement de l’autonomie protéique d'une exploitation s’accompagne en général d’une reconception de son système de culture. Elle intègre généralement une série de pratiques agroécologiques qui permettent une meilleure maîtrise des intrants, et notamment des fertilisants.

Enjeux sociaux

Reconcevoir son système pour augmenter son autonomie en protéine peut être l'occasion d'introduire des pratiques qui dégagent plus de temps à l'agriculteur, ou bien qui intègrent de nouvelles composantes (déplacement des troupeaux dans les pâturages, etc.).

C'est par exemple le cas du Gaec Lusanbio à Lusanger (Pays de la Loire), une exploitation laitière en polyculture élevage dont le système de culture permet de concilier une autonomie alimentaire totale (semences incluses) avec un rapport EBE / Produit Brut de 70%, et 11 semaines de congés par an pour chaque associé.

Certains témoignages montrent également une meilleure adéquation par rapport aux attentes sociétales. Quelques éleveurs trouvent ainsi l'occasion de reconcevoir la relation avec l'animal, dans une volonté d'augmenter le bien-être animal.

Les intérêts agronomiques de l'autonomie protéique

Au niveau de l’exploitation, l'accroissement de l'autonomie protéique peut aider à réduire l'utilisation de certains intrants. C'est notamment le cas avec des pratiques telles que l'allongement et la diversification de la rotation qui permettent de rompre le cycle des ravageurs (cultures fourragères, prairies temporaires, couverts pâturables, etc.). Cet impact sur l'usage d'intrants est d'autant plus fort avec des cultures étouffantes, des légumineuses ou des espèces peu consommatrices d'azote, voire encore des cultures associées plus résilientes (par exemple, les méteils).

L'amélioration de l'autonomie protéique ne constitue souvent qu'un objectif au sein de la stratégie agronomique globale de l'exploitation. Elle est parfois le résultat d'une approche plus holistique, visant à multiplier les sources de revenu, ou à renforcer une logique de production : comme la séquestration de carbone atmosphérique, la protection intégrée des cultures ou l'agriculture de conservation des sols.

Pour plus d’informations sur ce sujet, cliquez ici.

 

>> Partie 2 : Appréhender les besoins protéiques des ruminants

 

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