A l’eau 2050 (1/10) : Vers une stratégie nationale d’adaptation de l’agriculture au climat

Dans un rapport de mission de plus de 300 pages, le CGAAER (Agriculture) et le CGEDD (Transition écologique) exposent les enjeux et les défis de la transition climatique pour l’agriculture vis-à-vis de la ressource en eau. La mission explore de nombreux leviers d’adaptation, bousculant le modèle agricole de l’amont à l’aval, et que la recherche devra encore documenter pour certains.

Stratégie nationale protéines végétales, Stratégie nationale de déploiement du biocontrôle, Stratégie nationale bas carbone, Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, Stratégie de sortie du glyphosate : aux grands maux les grands mots. A une exception notable : l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, qui passe entre les gouttes et entre les rayons. « Il n’existe pas, au niveau national ou régional, de document cadre présentant la stratégie d’évolution de l’agriculture dans les prochaines décennies, en fonction notamment des effets du changement climatique », écrivent les missionnés du Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Cependant, il existe bien le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), dont le 2ème programme court de 2018 à 2022. Mais selon la mission, « le PNACC évoque de manière extrêmement succincte le secteur de l’agriculture ».

Des arbitrages stratégiques

Les missionnés reconnaissent cependant que des plans d’adaptation au changement climatique sont élaborés dans les bassins ou encore les plans régionaux de l’agriculture durable (PRAD). Les Projets de territoire de gestion de l’eau (PTGE), institués en 2018 et au nombre d’une soixantaine sur le territoire, sont également plébiscités pour leur capacité à « faire émerger un point d’équilibre entre acteurs des territoires, par de véritables contrats multi-acteurs eau/agriculture, appuyés sur des Organismes uniques de gestion collective (OUGC) ». La mission appelle à renforcer et à mieux outiller les PTGE au motif que la gouvernance de l’eau, « bien commun et support de multiples usages, réclame une gestion d’autant plus collective et partagée entre acteurs des territoires concernés, que sa disponibilité, notamment en étiage, sera plus réduite dans le contexte du changement climatique ».

"L’agriculture se trouve à la croisée de multiples demandes politiques souvent divergentes."

La mission relève que l’agriculture se trouve à la croisée de multiples demandes politiques souvent divergentes, voire contradictoires dans leurs attentes. Elle doit en effet assurer notre sécurité alimentaire, ou même participer à celle du monde, et contribuer à notre neutralité carbone, par la séquestration dans les sols et grâce aux produits biosourcés. Mais elle doit aussi réduire ses gaz à effet de serre, être plus sobre en eau et en intrants ou encore mieux respecter la biodiversité. La satisfaction de ces différents objectifs n’ayant rien d’évident, des arbitrages sont donc à faire, que le changement climatique rend encore plus nécessaires et urgents. La mission appelle ainsi à mettre en place sur un réseau d’observatoires de l’agriculture et du changement climatique.

Parmi les arbitrages, l’État devra trancher entre une stratégie consistant à laisser s’opérer les conséquences du changement climatique sur la réduction des débits des cours d’eau lors des périodes d’étiage, et la multiplication des assecs, avec les impacts correspondants sur les usages, notamment l’irrigation et la biodiversité aquatique, ou une stratégie visant à soutenir les débits d’étiage par la mobilisation de réserves d’eau existantes ou à créer. Un débat national, prévu dans le cadre du PNACC, devrait en être le théâtre.

La ressource en eau et l’irrigation

L’Etat est par ailleurs invité à faire porter un discours commun par ses ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, à défaut de faire converger l’intégralité des points de vue, les ministères divergeant sur quelques sujets majeurs tels que la vocation nationale / internationale de l’agriculture, la réglementation entourant les petites retenues ou encore la question de la maîtrise d'ouvrage des grosses infrastructures, inter-régionales parfois.

"Dans l’esprit de la mission, l’irrigation est moins un facteur de production qu’un élément de résilience."

A travers sept études de cas, dans sept régions et systèmes agricoles différents, la mission a pris la mesure d’une forte demande de sécurisation de la ressource en eau par la profession, dans tous les systèmes de production, y compris l’élevage et la viticulture. Concernant la création d’infrastructures de stockage, la mission s’est prononcée pour la création de retenues permettant de capter les excès hivernaux pour compenser les déficits estivaux, mais dans le but de se substituer aux autres prélèvements estivaux, et donc pas de facto, au service du développement de l’irrigation.

Dans l’esprit de la mission, l’irrigation est moins un facteur de production qu’un élément de résilience, à utiliser au compte-goutte, avec une efficience autant hydrologique qu’économique. Si l’irrigation est un levier d’adaptation au changement climatique, elle est reléguée au troisième plan derrière la redéfinition des assolements et la gestion des sols, considérés comme les premiers réservoirs de rétention de l’eau.

Les filières invitées à se réinventer

Si l’État est invité à mettre en place une stratégie nationale d’adaptation au climat, les filières sont aussi mises à l’index. « L’introduction de nouvelles production ou d’itinéraires techniques plus économes en eau et en intrants se heurtent fréquemment à la structuration actuelle des filières de transformation et de commercialisation », relève la mission. Jouant un rôle d’accompagnement et de conseil, le rôle des coopératives est jugé un peu timide, alors que la sobriété des systèmes constitue le socle de l’adaptation au changement timide. Encore faudra-t-il que les cultures en question (luzerne, chanvre, sorgho, protéagineux d’hiver, etc.) soient économiquement viables.

"La création de nouvelles filières est un exercice long et complexe."

La mission reconnaît que la création de nouvelles filières est un exercice long et complexe qui doit mobiliser l'action publique, dans le respect de l'encadrement européen des aides, pour favoriser leur émergence. A travers ses études de cas, elle a bien pris conscience du fait que l’allongement des rotations, facteur de la restauration biologique des sols, avec comme corollaire une diversification des productions, est en proie au manque de structuration et pénalise l’écoulement et la valorisation des produits. La mission prône la mise en place d’appels à projets, par le ministère de l’Agriculture, destinés à inciter les coopératives, les industries agroalimentaires et les distributeurs à opérer cette transition, en lien avec les collectivités territoriales.

Certaines études de cas ont par ailleurs montré que la réhabilitation des systèmes de polyculture-élevage serait porteuse de résilience des exploitations, offrant des perspectives de restauration de la santé des sols. La mission imagine de nouveaux systèmes de couplage, où un éleveur s’associe avec des agriculteurs pour bénéficier des fourrages intercalaires en échange de fumure pour les sols. Ces formes d’associations mériteraient d’être expérimentées, ce qui nécessitera de redynamiser les filières d'élevage et les compétences.

La recherche convoquée

Outre État, collectivités, coopératives, industries agroalimentaires, distributeurs : la mission interpelle aussi la recherche, invitée à combler certains manques de connaissances. En parallèle des travaux à conduire sur la diversification de l’agriculture, le développement de nouvelles pratiques et de nouveaux modèles agricoles plus résilients,  en veillant à mieux articuler  la recherche-développement et les groupes d’agriculteurs innovants, la mission considère que notre appareil de recherche doit être davantage mobilisé sur le sujet de la gestion quantitative de l’eau, en lien avec les effets prévisibles du changement climatique sur cette dernière.

Le travail devrait porter sur l’amélioration de la connaissance des petites retenues et des volumes prélevés correspondants, l’impact cumulé des retenues, la gestion des retenues de substitution (remplissage hivernal, gestion des prélèvements), la réutilisation des eaux usées traitées, les aspects économiques du renforcement de la ressource et notamment l'impact sur la viabilité économique des exploitations agricoles et des filières.

Par son exhaustivité et son ancrage dans la réalité, le rapport CGAAER / CGEDD constitue le support tout désigné pour border cette stratégie nationale d’adaptation de l’agriculture au changement climatique que la mission appelle de ses vœux.

Les 7 recommandations de la mission :

1 - Accélérer la transformation de l’agriculture (agroécologie et panier de solutions assortis d’aides européennes à la transition).

2 - Faire des sols le socle de la stratégie de l'adaptation de l'agriculture au changement climatique (massifier l’ACS, rémunérer la séquestration de carbone, intégrer l’agriculture dans les documents d’urbanisme).

3 - Concevoir et mettre en place une irrigation de résilience (agroéquipements, OAD, assolements sobres aptes à faire converger rentabilité́ et économie de la ressource en eau).

4 - Mettre en place les conditions d’un renforcement acceptable de la ressource en eau pour l’agriculture (retenues de substitution, ré-usage des eaux usées traitées, renforcement des PTEG, généralisation des OUGC).

5 - Dynamiser une gouvernance territoriale pour la gestion de l’eau.

6 - Connecter plus fortement la recherche, le développement, les filières et les agriculteurs.

7 - Porter, sur l’eau et l’agriculture, un discours commun entre les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique.

 

Tous les articles de la série :

A l’eau 2050 (1/10) : Vers une stratégie nationale d’adaptation de l’agriculture au climat

A l’eau 2050 (2/10) : Oui à la création de nouvelles ressources... sans irriguer davantage

A l’eau 2050 (3/10) : 4 tirs de barrage entre agriculture et écologie

A l’eau 2050 (4/10) : Moins de maïs et plus d’ACS dans le Sud-Ouest

A l'eau 2050 (5/10) : L'Aveyron tout en réserve(s)

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