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A l’eau 2050 (9/10) : Dans l’Aisne, ça baigne pour les cultures industrielles
Dans l'Aisne, la ressource en eau est en adéquation avec les besoins d’irrigation tandis que les méfaits du climat sont encore très ténus. Le principe de précaution, d’adaptation et d’anticipation pourrait conduire à la mise en place d’un schéma départemental de gestion de l’eau, incluant tous les acteurs du territoire.
Dans le département de l’Aisne, « la valeur d’une exploitation n’est plus liée à son quota de betterave mais à son accès à l’eau ». Extraite d’un rapport sur le changement climatique, l’eau et l’agriculture à l’horizon 2050 rédigé par les conseils généraux de l'agriculture (CGAAER) et de l'environnement (CGEDD), la phrase attribuée à la Chambre d’agriculture éclaire les enjeux économiques qui se trament autour des assolements. La betterave, toujours fortement présente (15% de la SAU), a perdu ces dernières années son statut de valeur refuge pour rentrer dans le rang des céréales et oléagineux, en terme de marge brute, selon les chiffres de Cerfrance publiés dans l’étude.
Conséquence, seules les cultures industrielles sortent du lot avec des marges brutes qui vont du double au triple selon les espèces, moyennant l'accès à l’eau. Alors que la betterave pouvait s’en passer, en dehors des sols sableux ou pas profonds, l’irrigation des légumes verts, oignons, pommes de terre et carottes jeunes est une obligation pour décrocher un contrat de production avec les industriels, tant pour des motifs quantitatifs que qualitatifs.
Une situation hydrologique favorable
Les cultures industrielles représentent environ 5% de la SAU du département (20% avec la betterave), ce qui correspond peu ou prou aux surfaces irriguées. Sur le bassin de la serre, où s’est concentrée l’étude, l’eau d’irrigation est fournie par la nappe de craie, s’ajoutant aux 717 mm de pluviométrie moyenne, équivalents à l’évapotranspiration (713 mm). La puissance de la nappe permet de satisfaire tous les usages, dont l’irrigation, qui représente un peu moins de 11% des volumes pompés, contre 56% pour l’eau potable et 33% pour l’industrie. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les valeurs de pluies efficaces assurent systématiquement la recharge de la nappe.
Du point de vue qualitatif, l'état de la nappe de la craie est jugé moyenne vis-à-vis des nitrates, impliquant le classement en zone vulnérable, mais elle est relativement stable.
De par sa situation hydrologique favorable, le département n’est pas classé en Zone de répartition des eaux (ZRE), ce qui soustrait les irrigants d’obligation en matière de gestion collective. Une gestion volumétrique a cependant été mise en place en 2004. Elle est gérée par la Chambre d’agriculture, à qui les irrigants déclarent chaque année leurs relevés de compteur, sur une base volontaire. A noter que l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour l’irrigation reste encore marginale mais fortement encouragée par les industriels.
Un début d’alerte météo
En dépit d’une situation favorable, les années sèches de la fin de la décennie 1990 et des campagnes 2018 et 2019 ont suscité l’émergence de nombreux projets de forages d’irrigation au niveau de la région des Hauts-de-France. Dans l’Aisne, la Chambre d’agriculture fait ainsi état d’une soixantaine de demandes de forages d’irrigation en attente dans le bassin de la Serre, pour la plupart simplement soumis à déclaration au titre de la loi sur l’eau car en-dessous du seuil d’autorisation.
Ces difficultés ont fait prendre conscience à la Chambre d’agriculture et aux irrigants que le changement climatique pouvait remettre en question la situation plutôt favorable de l’accès à l’eau et conduire à des conflits d’usage, ce qui les a conduits à lancer une modélisation du fonctionnement de la nappe de la craie et une réflexion sur un schéma directeur d’irrigation. A quelques réserves près (recalage du modèle tous les cinq ans, absence de certaines données), le BRGM a validé la modélisation. Le BRGM considère par ailleurs qu’une recharge artificielle de la nappe ne présenterait pas d’intérêt.
Quelques recommandations
En dépit des alertes, la situation hydro-climatique du bassin de la Serre reste très favorable, comme en témoigne le coefficient de prélèvement sur recharge, qui pointe à 3%, loin du seuil de tension (15%). Plusieurs indicateurs (taux de prélèvement sur recherche de 12% dans le sous-bassin de la Souche, baisse du niveau du marais de la Souche, baisse des niveaux d’étiage de cours d’eau, concurrence accrue entre irrigation et eau potable) invitent à la vigilance. Ils pourraient aboutir au classement du sous-bassin de la souche en Zone de répartition des eaux, ce qui se traduirait par la mise en place d’un Organisme unique de gestion de l’eau (OUGC), plus contraignant que le dispositif mis en place par la Chambre.
« L’élaboration d’un schéma départemental d’irrigation par la Chambre d’agriculture constitue une étape mais devrait évoluer à terme vers un schéma départemental de gestion de l’eau, ou le lancement d’un Schéma d’aménagement et des gestion des eaux (Sage) ou d’un Projet de territoire pour la gestion de associant largement les services de l’État, les collectivités et les associations », conclut la mission.