Ecophyto 2030 ou le pari du pass anti-impasses

[Edito] Le retrait des substances actives les plus critiques va de facto permettre d’atteindre l’objectif de réduction de 50% des risques et des usages de produits phytos, que va entériner l'indicateur HRI-1. Mais c’est tout l’intérêt de la Stratégie Ecophyto 2030 que d’en faire sa nouvelle cible.

Présentée par le gouvernement le 6 mai, la Stratégie Ecophyto 2030 n’a pas manqué de soulever critiques et polémiques, de la part (convenue) d’associations environnementales mais également d’éminents scientifiques (CNRS, INRAE, INSERM...), accusant l’exécutif de faire le « choix du cancer », au détriment de la santé publique. L’indicateur de suivi de la stratégie, l’européen HRI-1, en lieu et place du Nodu français, l’indicateur des Plans Ecophyto 1, 2, 2+, concentre les jets. Et pour cause : entre 2011 et 2021, le Nodu a baissé de 0,4% tandis que le HRI-1 a baissé de 32,9%, quand la Quantité de substances actives (QSA) vendues progressait de 49%. Autrement dit, le HRI-1 a fait une bonne partie du chemin conduisant à l’objectif de réduction de 50% des usages d’ici à 2030, comparativement à la période 2011-2013, réaffirmé dans la nouvelle Stratégie Ecophyto 2030.

L’objectif atteint avant 2030

Ces trois indicateurs - Nodu, QSA et HRI-1 - présentent chacun des biais. Le Nodu est un réel indicateur d’usage mais sa valeur ne change pas avec la simple substitution d'un produit par un autre, même si le second est jugé moins toxique. La QSA, qui cumule des substances ayant des doses d’application par hectare très différentes, est susceptible de masquer des substances potentiellement très toxiques, mais actives à faible dose. Le HRI-1 prend en compte la masse de substances actives (mais pas les doses d’application de chaque substance comme le Nodu), qu’il pondère en fonction de leur appartenance à des groupes de risque, au nombre de 4, aux fondements scientifiques critiquables. En outre, le retrait du marché de substances critiques flatte le HRI-1. Des chercheurs, plaidant pour un panel d’indicateurs, estiment que le retrait du seul mancozèbe en 2022 pourrait faire pointer le HRI-1 à 43% de réduction, proche des 50% visés par Ecophyto 2030.

Reconception des systèmes... et des esprits

Bref, l’objectif de la Stratégie Ecophyto 2030 sera atteint avant 2030, mettant fin, plus ou moins artificiellement, à l’injonction inscrite dans le Grenelle de l’environnement en 2007 et son fameux « -50% si possible », qui aura bien empoisonné le débat public mais sans le tuer, on peut en faire le pari. Même s’il ne faut jamais dénier la dose de calcul politique, le gouvernement a eu l’intelligence de déplacer la cible d’Ecophyto sur les 75 substances actives problématiques et qui risquent de réduire le local phyto à une armoire, voire à un tiroir. « Il n’y a aucune solution miracle à attendre dans les dix à venir en alternative aux produits conventionnels », affirmait récemment le directeur général de BASF France, plaidant pour une approche « combinatoire » . C’est tout l’objet de la Stratégie Ecophyto 2030. Au-delà des embruns polémiques, l’urgence est à la massification des solutions combinatoires, à la reconception des systèmes agricoles mais aussi des esprits, un défi dans le défi. Les fermes Dephy, les systèmes culturaux innovants Syppre, le PNRI en betterave ou encore l’agriculture biologique montrent la voie. Puissent les centaines de millions d’euros alloués à Ecophyto 2030 y contribuer.